Du Cid, je ne connaissais que l'air de Chimene du III ( "Pleurez mes yeux....", sur enregistré) et l'air du ténor "O souverain....". Je n'avais jamais entendu l'œuvre dans son intégralité pas même au disque. Alors je me rendais plein d'espoir, en admirateur de Massenet, à cette soirée de reprise d'une œuvre créée ici même en 1885 mais qui avait quitté le répertoire depuis 1919 (un siècle!). Et nous fûmes comblés.
Par la musique de Massenet tout d'abord, et particulièrement l'acte III qui est une réussite totale. Et la direction de Michel Plasson est un modèle de flamboyance et de subtilité qui nous noie dans une richesse de couleurs et d'expression et ne recule ni devant un intimisme chatoyant et délicat (le duo du I ou le IIII ) ni devant un maniérisme un peu pompier (l'adoubement de Rodrigue ou la bataille). Superbement accompagné par des chœurs en grande forme, l'orchestre de l'Opera, sous cette direction enthousiaste et juvénile, est à son meilleur niveau.
Peu à dire de la mise en scène de Charles Roubaud. On ne comprend pas bien à quoi sert de situer l'action dans une Espagne franquiste des années 30-50 mais si ce parti pris ne sous tend aucune lecture, il n'est pas dérangeant et présente l'avantage de la sobriété. La direction d'acteurs est beaucoup plus faible, laissant les interprètes un peu "plantés" sur la scène.
Très française, la distribution sert à merveille un texte souvent très beau, qui reprend quelques vers de Corneille. Le Saint Jacques de Francis Dudziak, l'envoyé maure de Jean-Gabriel Saint Martin, Luca Lombardo ( Don Arias) et Ugo Rabec ( Don Alonzo) sont irréprochables. Laurent Alvaro, baryton basse à la voix ample et particulièrement bien projetée, incarne avec délectation un comte de Gormas arrogant et empli de sa supériorité. J'ai beaucoup aimé le Don Diegue de Paul Gay, rigide à souhait mais qui, avec des moyens vocaux exceptionnels et une diction parfaite prend aussi des intonations très poignantes quand affleure un soupçon de conflit entre sens de l'honneur et amour paternel. Le Roi de Nicolas Cavallier m'a moins convaincu, semblant un peu à la peine dans l'aigu et dont les notes basses étaient comme voilées. En revanche, Annick Massis est une Infante de luxe qui éclaire la scène d'une présence lumineuse et dont la voix chatoie et s'autorise tous les culots jusqu'à un ré impérial couvrant le tutti final de la fosse et de la scène pourtant entraînées dans les décibels par Michel Plasson. Le choix de Sonia Ganassi pour Chimene aurait pu s'avérer catastrophique. Choisir un mezzo pour un rôle de Soprano dramatique ou peut être de Falcon, à l'écriture de surcroît meurtrière était assez insensé. Mais en mettant cette superbe artiste au bord de la rupture pendant quasiment toute l'œuvre, il lui faut se sublimer, ce qu'elle fait de façon totalement bouleversante dans l'acte III qui porte tout entier son empreinte. Alors certes les aigus sont un peu criés et les moyens parfois limites face à l'orchestre déchaîné de Plasson mais il est rare de voir, d'entendre une interprétation autant intériorisée. Roberto Alagna, enfin. Il dispense avec générosité une ligne de chant impeccable, une diction élégante et une capacité d'interprétation vocale rare dans un rôle complexe à caractériser et à l'écriture elle aussi redoutable (le si b de "....l'âme étincelante...", ouf !). Le timbre est toujours beau et il donne le sentiment d'avoir peu de rivaux dans ce répertoire là.
Au final, cela faisait longtemps que je n'avais vécu une soirée aussi poignante et aussi enthousiasmante à l'Opera de Paris qui a trop semblé ces derniers temps privilégier les grosses machines bien huilées et les titres garantissant le remplissage des salles.
9 avril 2015 - Le Cid (Massenet) à l'Opera Garnier.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
M
B
J
J
G