Légende dramatique en quatre parties, créée sous la direction de Berlioz lui même à l'Opera Comique en 1846, l'ouvrage n'est pas vraiment un opéra, au sens habituel du terme. Construit peu à peu à partir des Huit scènes de Faust (1828), dans un style "décousu" assumé explicitement par le compositeur, l'ouvrage tient plus du poème symphonique ou de l'œuvre chorale que de l'opéra. Outre l'absence d'ouverture, le caractère limité des interactions entre les personnages, la place prépondérante des chœurs et de l'orchestre, un récit narratif davantage contemplatif que descriptif, et enfin la relative faiblesse de l'action dramatique organisée constituent un réel défi pour le metteur en scène.
La mise en scène, donc. Étrillé par la critique après la première, au cours de laquelle elle a valu semble-t'il une grosse bronca à Alvis Hermanis, elle n'est pourtant dépourvue ni d'intérêt ni d'intelligence. Très construite, l'idée de mise en scène repose sur un présupposé aux termes duquel le Faust d'aujourd'hui serait un scientifique et associe Faust à la figure de Stephen Hawking, le physicien britannique totalement paralysé, représenté en permanence sur scène par un danseur en fauteuil roulant. Le rêve de Hawking est la colonisation de Mars, l'humanité ayant épuisé les ressources de la Terre et donc besoin d'une deuxième planète. Et de construire le voyage de Faust tel que voulu par Mefisto autour de ce départ sans retour d'une partie de l'humanité. A défaut d'être toujours très pertinente au regard du livret ni de présenter des intentions très lisibles, (la rédemption de Marguerite remplacée par une apothéose de Hawking par exemple), la mise en scène produit de réels effets poétiques et soutient très efficacement la partition. Je n'ose pas croire que le public de la première ait pu être effarouché par des images de fécondation d'un ovule ou par des copulations d'escargots.... En revanche il est vrai que c'est une orgie d'images et de vidéo qui, certes, nous conduit dans un voyage onirique mais qui pêche par un défaut évident de direction d'acteurs, les protagonistes étant en grande partie laissés à eux même....
Le chœur de l'Opera est à son habitude précis et impressionnant et sera chaleureusement salué par le public. Sophie Claisse est une très belle Voix Céleste, désincarnée à souhait. Edwyn Crossley-Mercer incarne un Brander un rien sophistiqué mais vocalement convaincant.
La distribution très alléchante du trio tient plutôt bien ses promesses. Sophie Koch est une très belle Marguerite, à la ligne soignée et à la diction française élégante. Elle a semblé parfois peiner un peu à maîtriser la puissance de son instrument et la voix est parfois affectée d'un inquiétant vibrato lourd, notamment dans "D'amour, l'ardente flamme....". Bryn Terfel est un Méphisto de très grande classe, très présent sur scène, un démon convaincant mais peu effrayant, un peu comme un démon intérieur. Le timbre est superbe, chaud et cynique à la fois et la diction irréprochable. Et, bien sûr, Jonas Kaufmann. Même si je reste extérieur à l'émotion hystérique qui semble saisir ses fans à chaque apparition, le style et la beauté du timbre sont incontestables. Techniquement juste et précis, les piani sont souvent impressionnants et l'incarnation de Faust engagée et accomplie. Toutefois, la diction a pu sembler parfois moins excellente que chez ses deux partenaires (notamment dans le duo avec Sophie Koch) et les aigus en voix de tête sont parfois détimbrés.
Autre grand triomphateur de la soirée, Philippe Jordan, à la tête d'un orchestre de l'Opera inspiré, propose une lecture fluide, élégante, poétique, stylistiquement très française et dispense quelques pages d'une immense beauté.
Au total, le public a réservé un vrai succès à cette production qui le mérite amplement et la mise en scène, en dépit de quelques hueurs excités qui ne se sont d'ailleurs manifestés qu'au premier rideau, ne fut pas particulièrement conspuée.
11 décembre 2015 - La Damnation de Faust (Berlioz) - Bastille
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