Si la création du Stabat Mater à Paris en 1842 a valu à Rossini un immense succès, l'œuvre continue à être jugée, encore aujourd'hui, trop profane, trop théâtrale, à la suite de Wagner et des critiques germaniques auxquels les fastes de la religion catholique romaine restent étrangers. À chaque interprétation, il se trouve donc de bonnes âmes pour sommer chef et solistes d'avoir à choisir entre interprétation sacrée et interprétation profane.
Tout l'intérêt de cette interprétation est précisément d'échapper à cette catégorisation caricaturale, assumant tout à la fois le faste et le divin, soulignant la douloureuse introspection sans négliger la glorieuse expression de la divinité. Le principal acteur de ce remarquable travail est bien sûr James Gaffigan qui livre une lecture parfois surprenante : temps vifs et souvent accélérés, et, brusquement, un accent qui traîne au delà de la mesure sur une note longue. Sous cette direction, l'Orchestre national de France, comme le Chœur de Radio France, sont impeccables et parfaitement mis en valeur. Les équilibres sont parfois un peu moins soignés par James Gaffigan pour les solistes mais ce petit reproche relève du détail tant sa direction révèle la force de cette musique, de nature à déplacer les montagnes, et sa douloureuse désespérance.
Le quatuor de solistes est particulièrement équilibré et homogène dans son attention au texte et son implication dans l'expressivité. Patrizia Ciofi nous régale d'une présence d'une rare intensité, et d'un chant qu'on n'imaginerait pas mieux incarner la douleur maternelle au pied de la croix. L'Inflammatus est un modèle de chant, porté par une souffrance qui semble authentique. Le Quis est homo est d'un subtil raffinement accru par le beau mariage de timbres que représente son duo avec Roxana Constantinescu. La mezzo soprano est la belle découverte de la soirée, appelée à remplacer Varduhi Abrahamyan. Le timbre est homogène, la voix souple et fluide, le grain pur et très séduisant. À cette "belle voix" s'associe une technique éprouvée qui produit un chant sans affectation et d'un très grand naturel. A écouter la douceur de son Fac, ut portem, on a envie de l'entendre dans des cantates françaises tant sa voix semble faite pour cela. Un peu plus en retrait dans l'interprétation Paolo Fanale se joue toutefois des difficultés de la partition et triomphe modestement du Cujus animam. Nahuel Di Pierro est superbe de sobriété, gérant des graves solennels sans difficulté et projetant avec aisance un médium aux sonorités caressantes. Ces belles qualités lui permettront de faire jeu égal avec Patrizia Ciofi dans un superbe Sancta Mater aux accents poignants qui sera toutefois effacé par le quatuor a capella (Quando corpus morietur) au cours duquel les voix des quatre solistes rivalisent de douceur et de discrets chatoiements.
En première partie de cette mémorable interprétation du Stabat Mater, étaient proposées une jolie et enlevée 3e symphonie de Schubert et surtout la création française du Chant funèbre de Stravinski (1908) dédié à la mémoire de Nikolaï Rimski-Korsakov, partition perdue et retrouvée en 2014. Ces deux œuvres ont permis à James Gaffigan de faire montre de sa maitrise du répertoire et d'amener l'Orchestre national de France à exposer de somptueuses couleurs.