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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


25 octobre 2017 - Don Carlos (Verdi) à l’Opera De Paris Bastille.

Publié par Jean Luc sur 28 Octobre 2017, 20:24pm

Catégories : #Opera mis en scene

Retour aux sources (et en quelque sorte à la maison) pour ce Don Carlos qui retrouve l’Opera de Paris où il fut créé le 11 mars 1867 (Salle Le Peletier). La version choisie pour cette opération est celle dite « originale », c’est à dire celle qui fut livrée par Verdi pour les premières répétitions en 1866. Elle est donc indemne des coupures et aménagements auxquels le compositeur procéda lui même avant la répétition générale puis pour la première. Et la deuxième représentation. Une rareté donc, sans le ballet de l’acte III qui ne fut composé que pour la répétition générale du 24 février 1867. Choix cohérent donc mais quand même discutable : s’il s’agit de montrer à quel point Verdi voulut composer un grand opera français, ne pas intégrer le ballet est absurde.

 

Don Carlos est une œuvre gigantesque par sa durée (4 heures de musique), par la taille de son orchestre (quand même un peu surdimensionnés par Philippe Jordan, on y reviendra), par le nombre de ses interprètes de rôles importants (pas moins de 6). S’éloignant considérablement du modèle historique, l’opéra est un portrait de l’Espagne de l’Inquisition, une histoire violente d’amour contrarié et de pouvoir politique, servie par une musique somptueuse mais très sombre, usant délibérément des notes les plus graves des instruments.

 

L’Opera de Paris a voulu faire de cette production un événement mondial en convoquant une distribution hors pair. Et Krzysztof Warlikowski à la mise en scène. Travail de mise en scène qui appelle quelques réserves même si Warlikowski s’est étonnamment abstenu de toute provocation : quel sens donner à la salle d’escrime (dans le tableau du jardin...) où aux effets vidéos « vieux film » (d’ailleurs visuellement penibles) ? Pourquoi négliger à ce point les décors (tristes et dépouillés, même si le lavabo est bien présent...) et les masses (les chœurs sont toujours statiques). Mais Warlikowski impose une lecture cohérente de l’œuvre. Vision d’une Espagne aux mains politiques d’une Eglise violente et intolérante, sous l’autorité d’un monarque instrumentalisé qui n’en finit plus de se mesurer à l’ombre de son impérial père. Un couple d’amoureux brisés, lui puéril et fantoche, psychologiquement fragile, suicidaire romantique avant l’heure, elle plus mûre mais figée, glacée, dans son devoir. Un Posa, plus politique déterminé qu’ami voué au sacrifice et une Eboli dévorée par la sensualité. Et c’est bien la direction d’acteurs de Warlikowski, l’attention pointilleuse portée à chaque geste, chaque regard, chaque expression qui crée la magie sombre de ce spectacle.

 

La direction de Philippe Jordan est un atout majeur de cette production. Precis, il pétrit sa partition, lui donne des couleurs sombres, violentes ou douces. Il assure une progression dramatique et réussit à captiver pendant quatre heures, sans couvrir les voix  en dépit, et c’est le seul reproche qu’on lui fera, d’une puissance un peu trop mise en avant par un orchestre légèrement surdimensionnés, même pour Bastille.

 

A côté des chœurs brillants, notamment le pupitre des basses, les « petits » rôles sont tous excellents et on soulignera tout particulièrement le superbe Comte de Lerme de Julien Dran, le Thibault de Eve-Maud Hubeaux ainsi que les délégués flamands. 

 

Bien que mal servi par le costume et la mise en scène, le Grand Inquisiteur de Dmitry Belosselskiv est terrifiant comme il se doit. Incarnation effrayante des religieux et de l’intransigeance d’une Eglise dominatrice et sanguinaire. La voix est sombre à souhait et même l’aigu semble noir. Le phrasé est impeccable, comme la diction française et l’autorité du personnage est incontestable.  Ildar Abdrazakov compose un Philippe II plus complexe que ce qu’il est donné d’entendre d’habitude. Hésitant, souvent brutal, faible, tellement faible face au spectre de son père, face à l’Inquisiteur, face aux femmes. Grande et belle basse, le français est de très haut niveau et le celebrissime "Elle ne m'aime pas!" est émouvant’ plaintif et très réussi. Le duo avec l’Inquisiteur est un duel de titans qui incarne à la perfection l’affrontement du spirituel et du temporel et la victoire du premier. 

 

Ludovic Tézier est un Posa d’anthologie. La diction est un modèle, la projection impeccable. Sa présence et son interprétation du duo « de la liberté » comme du duo du IV sont bouleversantes. Son aisance dans ce répertoire est une évidence, comme le sont l’élégance de la voix et la beauté du timbre. 

 

Elina Garanca est une Eboli marquante. La voix est très ample, très développée dans l’aigu, extrêmement agile ( « Au palais des fées » était d’une précision diabolique) et son « Ô don fatal » est un monument de sensualité et de fureur. C’est une Eboli totalement consumée et incandescente malgré un petit passage à vide au II. Elle domine totalement le plateau à chacune de ses apparitions et joue parfaitement d’un timbre moelleux au medium enchanteur. 

 

Sonya Yoncheva est éblouissante en Elisabeth. Le suraigu semble émis avec une facilité déconcertante, le timbre est joliment corsé, la diction infiniment précise. Le chant est d’une précision sans aucune concession, la projection incroyable, la voix parfaitement homogène. Sa présence sur scène est palpable tout au long de la représentation, et son air final ("Toi qui sus le néant des grandeurs de ce monde"), étonnamment interprété avec une sorte d’élégante lassitude a été un très grand moment.

 

Finalement, c’est le Carlos de Jonas Kaufmann qui nous a déçu au plan vocal. Il s’économise beaucoup aux deux premiers actes, comme si Bastille était désormais trop grande pour lui. La projection présente de nombreuses failles, la diction française est loin d’être parfaite et la voix semble detimbree dans l’aigu même si le medium conserve ce moelleux si caractéristique. Excellent comédien, Jonas Kaufmann incarne un Carlos égaré, veule et incertain, un peu flou, écrasé par son destin au niveau duquel il ne parvient pas à se hisser.

 

Cette représentation a été saluée par un succès phénoménal aux saluts, succès plus que mérité tant cette soirée tutoyait l’excellence.

 

 

 

25 octobre 2017 - Don Carlos (Verdi) à l’Opera De Paris Bastille.
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