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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


9 mars 2018 - Il Giasone (Cavalli) à l’Opéra royal de Versailles.

Publié par Jean Luc sur 11 Mars 2018, 11:34am

Catégories : #Opera mis en scene

 

Il est des œuvres qui, pour rares qu’elles soient devenues, n’en méritent pas moins toute notre attention, tant elles se trouvent à l’origine de l’art lyrique. Créé le 5 janvier 1649 au theatre San Cassiano de Venise, qui fut la 1ère salle publique d’opéra de l’histoire, Il Giasone, oeuvre de l’un des compositeurs fétiches du San Cassiano fut aussi l’opéra le plus représenté au XVIIème siècle, un des plus grands succès de ce genre, avec pas moins de 18 représentations à Venise et 24 productions différentes dans toute l’Italie entre 1649 et 1681. Bien que 10 copies de la partition nous soient parvenues, situation tout à fait exceptionnelle et liée au succès de l’œuvre, il faudra attendre 1969 pour qu’une version de concert soit donnée à Naples et la représentation de cette œuvre reste une rareté. 

 

Dans la continuité de Monteverdi, Cavalli compose une narration continue qui s’appuie sur un récitatif fluide et de brèves arias qui soulignent les moments forts du livret. L’intrigue tragique narre généralement des événements mythologiques mais avec une distance cynique, que perdra l’opéra seria, et introduit des personnages comiques. La composition accumule les scènes de genre : tempêtes, combats, scènes de fureur, scènes d’amour, invocations infernales, scènes de sommeil, de séduction, de folie, scènes comiques...

 

Il Giasone est de ce point de vue un parfait exemple de ce que produit Venise en matière d’ouvrage lyrique en ce milieu du XVIIème siècle. Mythologie maltraitée, divertissement galant pour ne pas dire coquin, voire plus (ah, les rimes inachevées du bègue Démos qui devaient faire rougir les vénitiennes de la bonne société ! Kaminski souligne par exemple que le ca...ca....ca.... qui suit strapazzo fait attendre un « cazzo » plutôt que le capo qui sera chanté), exposition de passions amoureuses dans lesquelles la dimension physique, charnelle est parfaitement intégrée, recours au spectaculaire malgré la taille (et les moyens) limités des théâtres (c’est à Venise que Torelli invente la machinerie théâtrale en 1641). La musique est un enchaînement très fluide de récitatifs expressifs et de lamenti, style qui évoluera en donnant de plus en plus de place aux arias puis à la virtuosité qui caractérise l’opéra seria qui supplantera définitivement ce style si délicat dès avant la fin du siècle (certains des derniers opéras de Cavalli ne furent pour cette raison pas représentés).

 

C’est tout le talent de Serena Sinigaglia que de s’inscrire presqu’à la lettre, dans cette histoire. Tout en soulignant la légèreté de l’œuvre, elle appuie sans excès mais de façon quasi permanente sur la satire, la dérision, la distance ironique, avec par exemple, un Amore, putto ridicule et vindicatif. Elle met en avant la dimension sexuelle et très charnelle y ajoutant un Giasone anti héros parfait, des Argonautes monnayant leurs charmes, une Delfa lubrique, une relation très ambiguë entre Ercole et Giasone.... L’ensemble fonctionne à merveille, avec de vrais moments de poésie et d’émotion et de très nombreux sourires. Une belle énergie traverse le travail de cette metteuse en scène qui signe ici une production remarquable sous forme de comédie un rien déjantée.

 

Annoncé souffrant, Valer Sabadus est juvénile à souhait, homme-adolescent très convaincant dans son ambiguïté et sa faiblesse face aux femmes fortes (Medea et Isifile) dont il n’est que le jouet. La composition, si elle est particulièrement convaincante dans le « Delizie, contenti » chanté yeux bandés, manque toutefois et de lascivité et de distance ironique pour que l’on puisse croire totalement au personnage, à cet anti héros d’un mythe grec revisité dans une veine erotico-comique, signature de Cavalli. La voix est toujours aussi claire et semble même enfin débarrassée de ces acidités qui encombraient parfois les aigus de Valer Sabadus. La technique est impeccable, en particulier des trilles très maîtrisés, et la diction est parfaite, vraiment. Mais la voix reste petite et manque de puissance, même dans l’écrin de Versailles.

 

La Medea de Kristina Hammarström est celle d’une grande actrice. Elle est particulièrement convaincante dans les superbes duos avec Giasone,  dans lesquels le velouté de sa voix mate se marie sensuellement au timbre de Valer Sabadus. Dans la scène d’incantation, très réussie visuellement, elle parvient à restituer le caractère colérique et emporté de la sorcière sans se laisser aller aux cris ou aux stridences qui auraient été des facilités. Une Medea de grande classe !

 

Francesca Aspromonte lui tient la dragée haute en Isifile. Le soprano excelle dans les lamenti et sa scène du sommeil est particulièrement émouvante. La voix est très belle, ronde, charnue, brillante, bien projetée et l’actrice est bourrée de charisme dans son interprétation de cette femme blessée mais fière, qu’elle nous sert un peu fofolle.

 

L’Ercole de Taras Berezhansky est amusant en musclor survitaminé, objet de quelques attentions sensuelles de Giasone. Mais il est surtout servi par une voix de basse aux superbes couleurs, parfaitement projetée et à la technique baroque impeccable. En revanche le Besso de Günes Gürle rate son entrée avec une voix assez mal posée et projetée et ne s’avèrera guère convaincant par la suite. 

 

Dans Egeo, Raul Giménez est décevant. La puissance vocale n’est pas maîtrisée, ce qui, dans un écrin acoustique comme Versailles est très ennuyeux. Il donne l’impression de limiter ses nuances entre ff et fff, gênant ses partenaires, en particulier Medea. Il en résulte que leurs duos, pourtant au cœur de l’action, sont peu convaincants, faute à un tonitruant Giménez.


L’Oreste de Alejandro Meerapfel est doté d’une belle voix de baryton, à la puissance certes un peu limitée mais aux belles couleurs. On pourrait lui reprocher une composition un peu trop en dedans, en particulier face à Alinda qui semble, en parfaite déraison, le laisser de marbre.


Migran Agadzhanyan est un Démo de grande classe. Il incarne le valet bègue avec un grand engagement et chacune de ses apparitions est un plaisir. La voix est claire, puissante, assortie d’un très beau timbre de ténor. La Delfa de Dominique Vissé est quant à elle un vrai petit chef d’œuvre de drôlerie. La nourrice nymphomane et lubrique est tellement incarnée que chacune de ses apparitions efface tout ce qui se passe sur le plateau et nous fait oublier que Dominique Visse chante aussi, et d’ailleurs très bien.

 

Mariana Flores est une Alinda enjouée à l’incroyable abattage. La voix est particulièrement adaptée au baroque et le tempérament de l’actrice semble trouver ici un rôle à sa mesure qui ne doit pas nous faire oublier la très belle prestation musicale qu’elle délivre. En Amore, incarné dans un ridicule putto, Mary Feminear est hilarante. Très investie elle aussi dans le travail d’actrice, elle parvient à faire passer vocalement, toute en clarté avec de très beaux aigus cristallins, les ambiguïtés de son ridicule et arrogant personnage.

 

Le travail d’édition fait par Leonardo García Alarcòn ramène Il Giasone (plus de 4 heures de musique à l’origine) à un format mieux adapté à notre époque (mais qui tutoie les 3 heures de musique) et ces coupes ne nuisent en aucune façon à l’intensité théâtrale. Véritable spécialiste de Cavalli et de ce répertoire, Alarcòn fait dans la fosse un remarquable travail avec Cappella Mediterranea. Le continuo est remarquablement souple, suivant avec précision ce grand récitatif expressif qu’est avant tout Il Giasone. Mais l’orchestre sait aussi colorer chacune de ses interventions pour caractériser spécifiquement chacune des nombreuses scènes de genre qui émaillent la partition. L’acoustique de l’Opera royal rend particulièrement justice au minutieux travail d’équilibre effectué par le chef et aux qualités de sa formation dont chaque instrument se détache avec netteté.

 

Cette rareté que constitue une représentation d’Il Giasone nous vient de Genève et s’avère être une très belle réussite qui a été longuement saluée par la salle.

 

 

Programme et distribution 

 

Il Giasone

Dramma musicale en un prologue et 3 actes de Francesco Cavalli (1602-1676)

Livret de Giacinto Andrea Cicognini, en italien

Créé le 5 janvier 1649 au théâtre San Cassiano, à Venise

 

Direction musicale : Leonardo García Alarcon

Cappella Mediterranea

 

Mise en scène : Serena Sinigaglia

Décors et costumes : Ezio Toffolutti

Lumières : Simon Trottet


Giasone : Valer Sabadus, contre-ténor
Medea : Kristina Hammarström, mezzo-soprano
Isifile/Sole : Francesca Aspromonte, soprano
Ercole : Taras Berezhansky, basse
Besso : Günes Gürle, basse
Egeo : Raúl Giménez, ténor
Oreste/Giove : Alejandro Meerapfel, baryton
Demo/Volano  : Migran Agadzhanyan, ténor
Delfa/Eolo : Dominique Visse, contre-ténor

Alinda : Mariana Flores, soprano
Amore : Mary Feminear, soprano.

 

Photo : © Magali Dougados

 

9 mars 2018 - Il Giasone (Cavalli) à l’Opéra royal de Versailles.
9 mars 2018 - Il Giasone (Cavalli) à l’Opéra royal de Versailles.
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