26 mars 2018 - Benvenuto Cellini (Berlioz) à l’Opera de Paris (Bastille).
A sa création, en 1838, Benvenuto Cellini sera un retentissant échec qui fermera les portes de l’Opéra à Berlioz et qui l’éloignera durablement du théâtre. D’où une « odeur » de malédiction qui flottera durablement sur l’œuvre qui, à ce jour encore, reste peu représentée. Et pourtant de bonnes fées se penchèrent sur l’ouvrage, de Vigny qui fit lire l’argument, à Berlioz vers 1834 jusqu’à Liszt qui porta l’ouvrage jusqu’à en diriger la version remaniée à Weimar en 1852. Mais rien n’y fit réellement. Et l’Opera de Paris n’en monta, après la création, que deux productions, au XXe siècle (en 1972 avec Vanzo, Guiot, Massard, Berbié, van Dam et en 1993), avant cette co-production avec l’English National Opera, le Nationale Opera d’Amsterdam et l’Opera de Rome.
Si Benvenuto Cellini est écrit à l’origine comme un opera comique, Berlioz en supprimera les dialogues parlés pour faire accepter l’œuvre par l’Opéra, après que l’Opéra comique l’aura refusé. La musique est savante, originale, magistralement orchestrée et très moderne, ce qui explique peut être son échec à la création. Pour juger de son originalité, de la rupture avec l’esthétique dominante du temps, il suffit de souligner que sa création précède de 4 ans celle de Nabucco.
Benvenuto Cellini est donc avant tout un opera-comique joyeux et enlevé. Mais son exécution est redoutable, comme l’illustre si parfaitement son ouverture qui enchaîne les styles et les scènes de genre, de manière presque excessive d’ailleurs. Mais il faut savoir tenir sur la durée le tourbillon de cette œuvre exigeante, les équilibres d’une orchestration démesurée et les couleurs chatoyantes d’un théâtre virevoltant. Philippe Jordan s’en tire à merveille, entraînant un orchestre survolté et particulièrement inspiré, et soulignant à l’envi la beauté et la richesse de l’écriture de Berlioz.
En parfaite cohérence avec la fosse, Terry Gilliam signe une mise en scène spectaculaire, fourmillante d’idées et qui fait la part belle à la dimension comique de l’œuvre. Les scènes de foule sont particulièrement réussies et Terry Gilliam, à force d’inventivité, créé une ambiance proprement onirique, proche de la comédie musicale
John Osborn est exceptionnel en Cellini, rôle marqué par son créateur, Gilbert Duprez. La prestation est impressionnante par sa durée, Cellini étant en scène pendant presque toute l’œuvre, mais aussi par la hauteur de l’écriture et la multitude des émotions à porter. L’école rossinienne fait ici merveille, et Osborn, avec une projection et une diction impeccables, est un Cellini qui fera date. En particulier, « Sur les monts les plus sauvages » me restera inoubliable, tant le legato porté par un souffle qui semble infaillible, lui permet de perler ses aigus dans des nuances très variées.
Pretty Yende déploie son timbre superbe et sa technique est vraiment remarquable. Mais elle peine à se saisir au plan théâtral de ce rôle un peu ingrat et sa diction française mériterait plus d’attention de sa part. Maurizio Muraro est plus que décevant en Balducci. Projection faible, diction plus qu’approximative, comme la justesse du chant. Très applaudie, Michèle Losier est un superbe Ascanio, vocalement parfaite, dotée d’une belle voix très étonnante tant elle est crédible dans son rôle travesti. Audun Iversen est un Fieramosca pleutre et scéniquement interessant, doté d’une vraie belle voix mais qui manque un peu de puissance pour Bastille et qui est affecté d’une diction très brouillonne. Même sentiment de diction très perfectible pour le Pape de Marco Spotti, qui se coule avec aisance dans une interprétation comique d’un personnage ridicule et inquiétant, aidé par de beaux graves.
Les « petits rôles » sont intéressants, hormis le Cabaretier de Se-Jin Hwang au français par trop incompréhensible. Mention spéciale en revanche pour la belle voix chaude de Luc Bertin-Hugault (Bernardino).
Enfin, les chœurs fournissent une exceptionnelle et remarquable prestation dans cette œuvre qui les sollicite beaucoup et dont ils relèvent les défis avec talent et enthousiasme.
Programme et distribution
Benvenuto Cellini
Opéra en deux actes et quatre tableaux de Hector Berlioz (1803-1869)
Livret de Léon de Wailly et Auguste Barbier, en français
Créé le 10 septembre 1838 à l’Opera de Paris
Direction musicale : Philippe Jordan
Orchestre et chœurs de l’Opera national de Paris
Mise en scène : Terry Gilliam
Décors : Terry Gilliam, Aaron Marsden
Costumes : Katrina Lindsay
Lumières : Paule Constable
Benvenuto Cellini : John Osborn
Giacomo Balducci : Maurizio Muraro
Teresa : Pretty Yende
Fieramosca : Audun Iversen
Le Pape Clément VII : Marco Spotti
Ascanio : Michèle Losier
Francesco : Vincent Delhoume
Bernardino : Luc Bertin-Hugault
Pompeo : Rodolphe Briand
Cabaretier : Se-Jin Hwang
Photo : © Agathe Poupeney