Rappelons-le, Rinaldo a été créé pour en mettre plein les yeux aux Londoniens. Il s’agissait pour une bande de jeunes artistes (Haendel a alors 25 ans et Aaron Hill son directeur de salle, co-librettiste et metteur en scène à peine plus) d’imposer l’opéra seria à Londres. Pari tenu grâce à l’inventivité musicale de Haendel (même si, mais ce sont les usages du temps, de nombreux numéros sont repris d’œuvres antérieures, notamment « Il Tempo... ») et à une débauche d’effets et de recours aux machineries. A raison du succès rencontré lors de sa création le 24 février 1711, Rinaldo sera repris constamment pendant la décennie et jusqu’à une refonte plus profonde en 1731, générant de nombreuses versions différentes, visant - c’était l’usage - à adapter l’ouvrage aux capacités et aux exigences des chanteurs disponibles.
Le choix opéré pour cette production du TCE était celle d’une version de 1731, donnée hélas en version de concert, format qui souligne les grandes faiblesses du livret, qui ne restitue pas la dimension de l’œuvre, et qui laisse à l’orchestre et aux chanteurs la responsabilité de faire vivre la magie et la dramaturgie. Et si les chanteurs sont pour la plupart exceptionnels, tenant largement la promesse de l’affiche, j’ai été très déçu par la direction de Christophe Rousset à la tête du Kammerorchester Basel. Si cette formation fait montre de ses habituelles couleurs et de ses sonorités rondes et moelleuses, Christophe Rousset ne parvient pas à nous transporter dans cet univers de sentiments contrariés, de magie et de guerre. Nous faisons une aimable balade au XVIIIème siecle, en absolu contresens avec l’œuvre, qui de mon point de vue, appelle une interprétation frénétique seule à même de faire résonner guerre, Orient lointain et maléfices. De plus, de nombreux décalages affectent la prestation du Kammerorchester qui manque souvent d’homogénéité. Enfin, Christophe Rousset semble se soucier de ses chanteurs comme d’une guigne, ne leur accordant que de rares regards et ne leur faisant quasiment jamais la grâce de leur donner un départ... Cette prestation instrumentale était la grande déception de cette soirée, rattrapée par un très beau plateau.
Dans le rôle-titre, Xavier Sabata affronte crânement sa redoutable partie. La dimension physique totale de son engagement est perceptible à chacune de ses interventions. Le timbre est toujours aussi intéressant, à la fois velouté et un rien abrasif. La technique est remarquable, surtout dans les airs de bravoure (renversant « Venti, turbini,.. »). Chaque note est pensée, conduite tout au long d’une émission très homogène. Il dispose d’une longueur de souffle et d’un legato magistraux qui serviront un « Cara sposa » très émouvant.
A ses côtés, Sandrine Piau est une bouleversante Almirena. La voix au beau timbre s’appuie sur une technique irréprochable (et souvent stupéfiante), le style est d’une élégance constante et l’interprétation dépouillée et particulièrement travaillée du « Lascia ch’io pianga » est une référence.
Dès son entrée (« Furie terribili! »), Eve-Maud Hubeaux s’impose par sa puissance et la fureur qui l’anime. Elle sera de bout en bout la sorcière redoutable et maléfique, tout en sachant faire apparaître le désarroi amoureux de son personnage. La mezzo se joue des difficultés techniques de sa partie qu’elle domine avec une aisance totale. Au II, son art est éclatant dans le duo avec Rinaldo (« Fermati... » ) dans laquelle elle plie sa puissance pour une fusion des émissions et des timbres avec ceux de Xavier Sabata qui constituent l’un des moments d’exception de cette soirée.
En Argante, Christopher Lowrey déploie une voix claire à la très bonne projection, qui articule de beaux récitatifs et qui est parfaitement adaptée à l’écriture du rôle, ce qui lui permet de soigner une belle composition, élégante et nuancée de son personnage.
Tomislav Lavoie est un Mage de luxe qui démontre dans son unique air de très belles qualités de chant et une voix puissante, très bien conduite et au medium très séduisant.
Le Goffredo de Jason Bridges n’est pas à la hauteur de ses partenaires. Doué pourtant d’une belle voix et d’une séduisante diction, il souffre considérablement d’une partition qui dépasse ses moyens, le conduisant à des problèmes de justesse et à une incapacité à colorer les périlleuses vocalises du rôle. Je n’ai pas non plus été totalement convaincu par d’Anastasia Terranova qui, sans démériter en aucune façon ne semble guère concernée par son rôle. A la différence de Santiago Garzon-Arredondo qui se tire avec facilité du petit rôle d’Aroldo.
Le public s’est montré fort enthousiaste à l’issue de cette représentation, enthousiasme que je n’ai partagé que pour les chanteurs, me laissant aller à imaginer ce qu’un Rousset en meilleure forme, peut être un peu moins musicologue et un peu plus dramaturge aurait pu en tirer.
Programme et distribution :
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Rinaldo
Opera seria en trois actes (1713)
Livret en italien de Giacomo Rossi, d’après La Jérusalem délivrée (Tasse)
Créé à Londres, au Queen’s Theater, le 24 février 1711
Rinaldo : Xavier Sabata
Goffredo : Jason Bridges
Almirena : Sandrine Piau
Argante : Christopher Lowrey
Armida : Eve-Maud Hubeaux
Mago : Tomislav Lavoie
Araldo : Santiago Garzon-Arredondo
Donna / La Sirena / Voce di dentro : Anastasia Terranova
Kammerorchester Basel
Direction : Christophe Rousset
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