24 octobre 2018 - Serse (Georg Friedrich Haendel) au Théâtre des Champs Elysées.

En dépit de la présence de Caffarelli dans le rôle titre, et d’une fort belle distribution, la création de Serse le 15 avril 1738 ne connut pas le succès. Cinq représentations seulement puis 250 ans d’oubli avant l’exhumation au cours des années 1980. 

Il faut bien reconnaître que l’œuvre, un des dernière opéras composés par Haendel, avait de quoi dérouter le public d’alors. Sa dimension satirique l’éloigne clairement de la grande tradition de l’opera seria. Cette prise de distance avec la tradition  est confirmée par la place faite au registre comique, notamment avec le personnage d’Elviro, sans pour autant que l’œuvre s’approche du style buffa. L’œuvre mélange allègrement la dimension historique, l’exploration des passions humaines et un goût totalement baroque pour une intrigue aussi échevelée que peu vraisemblable et quelques moments improbables comme le très célèbre largo qui ouvre l’oeuvre (Ombra mai fu) sorte de déclaration d’amour à un... platane. On retrouve ce caractère atypique dans l’écriture musicale qui privilégie des airs courts, variés, alternant personnages et chanteurs, limite les récitatifs et minimise le recours à l’aria da capo.

Le théâtre des Champs Elysées avait réuni une belle distribution, peut être la meilleure possible  aujourd’hui, pour cette version de concert.

Maxim Emelyanychev dirige Il Pomo d’Oro du clavecin. Le fait est que j’aime beaucoup cette formation, que je tiens pour l’une des meilleures dans le répertoire baroque. Mais ce soir, elle a atteint des sommets qu’il sera difficile d’égaler. Sous l’impulsion énergique et déterminante de son 1er violon, Evgeny Sviridov, l’interprétation est quasi électrique. Emelyanychev conduit l’orchestre avec une fougue presque démesurée mais en obtient des contrastes subtils et inattendus, des sonorités qui flirtent parfois avec la raucité, une lecture forte et cohérente, un appui attentif à ses chanteurs.  

Franco Fagioli livre une belle composition de son personnage, laissant affleurer un rien d’inconséquence et de perversité. Au-delà, son choix musical est de tenter de ressusciter le chant assez volontiers démentiel, pour ne pas dire hystérique de Caffarelli. Et il ose tout : des intervalles délirants, des ornementations surchargées, des graves superbement poitrinés, des aigus transperçants et sans stridence. L’émission est parfaite, la projection impeccable. Ce soir tout lui réussit. Presque trop. Le « Crude furie » et le « Se bramate » sont des moments d’anthologie mais à la fin, on finit par être face à une interprétation de Caffarelli, pas du pervers et encore enfant  Xerxès que Haendel cherche à nous donner à voir. On se prend parfois à espérer une aria simple, dépouillée et on a entendu des « Ombra mai fu » plus incarné et plus élégiaque. Mais il ne faut pas bouder son plaisir ni amoindrir le grand talent et les immenses capacités de Fagioli. Le public lui réservera une énorme ovation, amplement méritée.

Inga Kalna est une immense chanteuse, nous l’avions déjà dit à propos de ses incarnations de Rodelinda et d’Alcina à Versailles. Le timbre est superbe, ample, velouté. La technique est simplement parfaite : les vocalises sont impeccablement maîtrisées,  la longueur de souffle rivalise avec celle -quasi légendaire de Fagioli-  les piani et pianissimi sont de toute beauté, les trilles vibrent de façon presque soyeuse, sans heurt et les tenuti sont redoutablement exécutés. Seule faiblesse, l’aigu se fait parfois un peu dur mais nous avions là, la meilleure technicienne du plateau, capable de générer une émotion palpable.

L’Arsamene de Vivica Genaux est aussi une belle réussite : de ce timbre reconnaissable entre mille et de cette technique d’émission particulière, elle parcourt son rôle dont elle n’esquive aucune note des plus riches graves aux plus beaux aigus. La technique est souveraine et l’interprétation vibrante.

Francesca Aspromonte force un peu trop le côté piquant d’Atalanta qu’elle transforme à l’excès en une soubrette mozartienne. Mais si le timbre est superbe et l’émission des plus sûres, je suis un peu réservé sur une technique qui semble moins solide que celle des autres interprètes, notamment dans des vocalises parfois peu assurées.

Je n’ai pas, mais alors pas du tout, les mêmes réserves pour Delphine Galou. Elle assume pleinement un rôle aux émotions très contrastées, aussi bien scéniquement que vocalement.  Certes son Amastre sonne davantage dans l’aigu que dans le medium dont la puissance est plus limitée ; mais quels graves, quel timbre, quelles couleurs et quelle technique !

L’Ariodate d’ Andreas Wolf confirme que le talent de cet artiste s’affirme. Le baryton basse semble ici parfaitement à son aise, le timbre est rond et chaud, le grave vibrant et la voix bien sonore, jusque dans un aigu athlétique. Les vocalises sont parfaitement maîtrisées de bout en bout, portées par un souffle sûr, qui sert un chant d’une très grande élégance.

Enfin, on ne peut oublier l’amusant Elviro de Biagio Pizzuti, qui sert son rôle buffa avec talent et qui fait montre, au delà de pitreries très réussies, de belles qualités vocales. 

Le public a fait un triomphe à cette superbe production qui sera un des grands moments haendeliens de ces dernières années.

Programme et distribution : 

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)

Serre

Opéra en trois actes

Livret en italin de Nicola Minato et Silvio Stampiglia

Créé à Londres, au King’s Theatre, Haymarket, le 15 avril 1738

Serse : Franco Fagioli 

Romilda : Inga Kalna 

Arsamene : Vivica Genaux 

Atalanta : Francesca Aspromonte 

Amastre : Delphine Galou

Ariodate : Andreas Wolf

 Elviro : Biagio Pizzuti 

Il Pomo d’Oro

Direction musicale et clavecin : Maxim Emelyanychev

credits photos : H Adam