L’opéra créé à Venise est le fruit de l’intérêt manifesté très tôt par Verdi pour la pièce de Hugo (Le Roi s’amuse) et des contorsions auxquelles le librettiste Piave et la direction du théâtre devront se livrer pour satisfaire aux exigences de la pointilleuse censure de 1850-1851. Si la critique se montre à la création un peu choquée par le sujet (le duc débauché, la scène chez Maddalena, le bossu malveillant, la « mésaventure » galante de Gilda....), le succès public est immédiat, à raison notamment des deux airs du Duc. Œuvre un peu étrange, préférant les ensembles aux airs soli, quasi totalement organisée autour du rôle titre, Rigoletto est un chef d’œuvre de continuité dramatique dont le succès ne s’est jamais démenti depuis sa création.
C’est une version de concert, agréablement et habilement mise en espace que proposait le Théâtre des Champs Elysées. Mise en espace vraiment bien réglée et réussie qui a fait oublier l’absence de mise en scène, au sens habituel du terme.
Simon Keenlyside domine la distribution et s’investit, se fond, de façon spectaculaire dans le rôle de Rigoletto. L’implication, y compris physique, est totale, l’interprétation intense. Si le timbre est un peu plus clair que ce à quoi on s’attend dans ce qui reste l’archétype du rôle de baryton verdien (le créateur en fut Felice Varesi), le phrasé est irreprochable et le chant est tout entier mis au service d’une interprétation époustouflante qui a culminé dans la supplique aux courtisans au II et dans la scène finale de la mort de Gilda. Vocalement en grande forme, son interprétation sans nulle concession lui vaut toutefois une fatigue passagère au III que, en grand artiste, il parviendra à gérer sans dommage, et, finalement, à surmonter, pour atteindre aux sommets dans le finale.
La Gilda d’Ekaterina Siurina renoue avec la création du rôle qui, à Venise, n’était pas confié au soprano léger que la tradition lui a assigné depuis. Son soprano lyrique donne ainsi des couleurs intéressantes à Gilda, notamment au III, mais tout au long de l’œuvre, l’aigu est à la peine et l’ornementation un peu poussive. Ce ne serait pas très grave si le style de chant était respecté et si on parvenait malgré tout à croire un peu à cette Gilda. Mais ce n’était pas le cas ce soir là, surtout à côté du dévorant Rigoletto de Simon Keenlyside qui appelait une Gilda autrement engagée et percutante.
Le rôle du Duc appelle un ténor brillant et un acteur capable de faire passer ce débauché tellement dépourvu de remords et de morale qu’il finit par en être sympathique. A l’évidence Saimir Pirgu maitrise son personnage, théâtralement et musicalement. Cette maîtrise d’un rôle difficile est patente dans le cynisme du « Questa o quella » au I comme dans la « Donna è mobile » qui lui vaudra une belle ovation.
.Stanislas Trofimov est un excellent Sparafucile, effrayant à souhait et aux graves remarquablement bien timbrés. Carlo Cigni, Basse racée et sonore, nous rappelle que Verdi soulignait l’importance du rôle de Monterone, que Cigni interprète avec conviction. Alisa Kolosova se glisse aisément dans le rôle de Maddalena. Son timbre de mezzo, rond et chaud, soutient une très réussie incarnation de séductrice pulpeuse, soulignant aussi qu’elle est le pendant du Duc dans le cynisme et remettant Maddalena au premier plan dans chacune de ses interventions.
Si le trio des comploteurs (Pietro Picone en Matteo Borsa, Andrea Borghini en Marullo et Kiril Chobanov en Comte de Ceprano) est parfaitement à l’aise et convaincant lui aussi, j’ai plus de réserves s’agissant d’Alexandra Scholik qui dans son triple rôle a semblé en difficultés à de nombreuses reprises, faute à un timbre peu assuré et à un soprano un peu trop instable.
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Sous la baguette de Gustave Gimeno, l’Orchestre Philarmonique du Luxembourg est inégal. Après une ouverture vraiment réussie et un premier acte des plus convaincants, les choses se compliquent de façon croissante au cours des actes II et III : problèmes de justesse, de calage avec le plateau, d’équilibres des masses de l’orchestre, ces questions d’équilibre trouvant leur maximum au finale du III, franchement tonitruant sans raison. Heureusement, le Chœur Philarmonique de Vienne est parfaitement à la hauteur de l’exceptionnelle interprétation de Simon Kleelyside tout au long d’une belle et talentueuse prestation.
Programme et distribution :
Giuseppe Verdi (1813 - 1901)
Rigoletto
Opéra en trois actes
Livret en italien de Francesco Maria Piave, d’après Le roi s’amuse de Victor Hugo
Créé à Venise, Teatro La Fenice, le 11 mars 1851
Rigoletto : Sir Simon Keenlyside
Gilda : Ekaterina Siurina
Il Duca di Mantova : Saimir Pirgu
Sparafucile : Stanislav Trofimov
Madalena : Alisa Kolosova
Matteo Borst : Pietro Picone
Il Conte di Monterone : Carlo Cigni
Marylo : Andrea Borghini
Il Comte di Ceprano / Usciere : Kiril Chobanov
Giovanna / La Comtessa di Ceprano / Paggio : Alexandra Scholik
Mise en espace et lumières : Bertrand Couderc
Orchestre Philharmonique du Luxembourg
Philharmonia Chor Wien
Direction : Gustavo Gimeno
Credit photographique © uwe arens