4 mars 2020 - Manon (Massenet) à l’Opéra national de Paris (Bastille).
Faute aux grèves à l’Opéra, cette deuxième représentation fut en réalité une première et offrit un vrai succès à cette nouvelle production en dépit des sentiments très contrastés qui furent les miens.
Vincent Huguet situe l’action dans les années folles. Je n’ai rien contre les transpositions dès lors qu’elles ont un sens et/ou qu’elles renforcent les caractéristiques de l’œuvre. En choisissant d’axer sa mise en scène sur une période marquée par une voracité de vivre face aux incertitudes du lendemain, Vincent Huguet semble s’être limité à rebondir sur le besoin de Manon de s’étourdir. De fait, l’opéra n’est plus qu’un prétexte à une mise en scène qui ne travaille que les fantasmes, parfois les idées de son auteur. Des Grieux a un coup de foudre pour Manon en lui tournant le dos, on attend un coche dans une gare Art Deco, Joséphine Baker fait des apparitions sonorisées et totalement décalées, l’un des prétendants éblouis de Manon est homosexuel, Manon elle même est tentée par les amours saphiques et les retrouvailles à St Sulpice verront les deux amants se rouler à terre, sur les dalles froides et inconfortables du sanctuaire. Alors, qu’au final, Manon soit fusillée alors qu’elle est supposée être internée dans un hôpital psychiatrique ne gêne plus grand monde. Bref une mise en scène de supercherie, sans intérêt et sans effet sur nos émotions. De cette production ne sont à retenir que les beaux et écrasants décors de Geisler et les lumières soignées de Bertrand Couderc.
Pretty Yende est en parfaite possession vocale de son rôle. Parfaitement projetée, la voix semble capable de tout : des aigus charnus et faciles aux graves sonores en passant par un médium aux couleurs variées. Le timbre est frais et dense. La diction est de grande qualité même si elle tend à s’empâter un peu au fil des airs. La caractérisation en revanche est plus aléatoire. Si à certains moments, elle peut conduire l’émotion à son comble (« Je ne suis que faiblesse... » par exemple), elle est parfois gênée par les choix musicaux de Dan Ettinger (le tempo trop lent de l’air du Cours la Reine) ou par les partis pris de mise en scène qui fait de Manon une gamine un peu niaise tout au long du Ier acte. Bref, le caractère ambigü, manipulateur de Manon est un peu absent et on en est presque surpris de ses exigences dans l’acte de l’Hotel de Transylvanie.
Benjamin Bernheim est tout au contraire totalement investi dans un Des Grieux naïf qui traverse une douloureuse éducation sentimentale. La diction est parfaite et le timbre est idéal pour le rôle. La voix est d’une rare homogénéité sur toute la tessiture, jusqu’à ces aigus parfois chantés en voix mixte. Parfaitement adapté à ce répertoire et en maîtrisant pleinement le style et les exigences de puissance et de demi-teintes, Benjamin Bernheim distille un plaisir rare et une grande émotion. Il sera justement ovationné aux saluts.
Ludovic Tézier offre un Lescaut de très grande qualité. La voix est toujours aussi ample, se déploie superbement sur une tessiture large et aux couleurs riches. Soutenu par une diction remarquable, lui aussi maîtrise impeccablement le style de ce répertoire.
Le français de Roberto Tagliavini est aussi de qualité et son comte, dont la partie parlée est importante, est convaincant. Le Guillot de Rodolphe Briand est sournois à souhait et Pierre Doyen est un Brétigny engagé. Du trio des jeunes femmes, on ne retiendra que la Javotte d’Alix Le Saux, au mezzo de grande qualité qui domine largement ses deux compagnes.
Dans la fosse, Dan Ettinger est l’autre déception de cette soirée. Après une ouverture assez peu sonore et mal structurée, il opte pour un mode tonitruant qui n’aide pas les chanteurs, voire choisit de curieux tempi (au Cours la Reine en particulier). Les chœurs, qui ont pourtant une importante et belle partie, sont moins convaincants et beaucoup moins précis que d’habitude ; ils semblent mal préparés.
Le public a réservé un grand succès à cette représentation que pour ma part j’ai estimé superbement chantée mais victime d’une mise en scène calamiteuse et d’une direction grandiloquente.
Programme et distribution :
Jules Massenet (1842-1912)
Manon
Opéra-comique en cinq actes
Livret en français de Henri Meilhac et Philippe Gille, d’après l’Abbé Prévost
Créé à Paris (Opéra-Comique) le 19 janvier 1884
Mise en scène : Vincent Huguet
Décors : Aurélie Maestre
Costumes : Clémence Pernoud
Lumières : Bertrand Couderc
Chorégraphie : Jean-François Kessler
Dramaturgie : Louis Geisler
Manon : Pretty Yende
Le Chevalier des Grieux : Benjamin Bernheim
Lescaut : Ludovic Tézier
Le Comte des Grieux : Roberto Tagliavini
Guillot de Morfontaine : Rodolphe Briand
De Brétigny : Pierre Doyen
Poussette : Cassandre Berthon
Javotte : Alix Le Saux
Rosette : Jeanne Ireland
L’Hôtelier : Philippe Rouillon
Deux Gardes : Julien Joguet et Laurent Laberdesque
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris
Direction musicale : Dan Ettinger
Crédits photographiques : ©️Julien Benhamou