Le programme de ce disque est constitué de cinq cantates profanes qui illustrent le goût très italien pour ce genre au début du 18e siècle. Autorisant l’interprétation par des femmes (à la différence de la musique sacrée et des opéras, à Rome), les cantates étaient destinées à être interprétées dans les salons des palais, donc devant un public limité et avec des effectifs d’interprètes réduits, l’accompagnement se limitant très souvent au continuo.
La part la plus importante du programme est réservée à Haendel, avec trois des cantates écrites durant son séjour en Italie entre 1706 et 1710 ou inspirées par lui, comme Deh, lasciate … . La première cantate est La Lucrezia, joyau du genre et constituant, en raison de sa remarquable progression dramatique, un véritable opéra de chambre. L’œuvre retrace les émotions d’une femme affectée psychologiquement par le viol qu’elle a subi et passant par des états psychologiques très contrastés, découpés en trois séquences musicales. A une première séquence très intériorisée de laquelle émane une profonde tristesse, succède un discours vengeur contre le violeur qui laisse la place à une alternance vertigineuse de profond désespoir et de besoin de vengeance.
Les deux autres cantates de Haendel sont des enregistrements en première mondiale et constituent elle aussi un témoignage passionnant de l’appropriation par Haendel de ce genre typiquement italien. Ninfe e pastori dans le style bucolique en vogue alors, et Deh, lasciate e vita e volo, plus tardive, aux superbes mélodies.
Avec Scarlatti et Vivaldi, on retrouve deux cantates plus anciennes mais aussi à la forme plus conventionnelle que La Lucrezia. La cantate O se fosse il mio cor in libertà fait partie d’un cycle de douze cantates dédiées par Porpora au prince-électeur de Hanovre et publiées en 1735, et dispose d’un texte écrit par Metastasio. Animée par un superbe solo de violoncelle, elle s’achève sur un passage qui sollicite beaucoup la virtuosité de l’interprète. Et enfin, la vertigineuse cantate Pianti, sospiri e domandar mercede, qui fait partie d’un ensemble de huit cantates pour alto écrites vers 1730 et qui s’achève sur un feu d’artifice de vocalises digne des grands airs pour castrats des opéras vivaldiens.
Ce programme a été donné par Carlo Vistoli à la salle Cortot le 8 mars dernier (voir ici le compte rendu) et le disque est également une réussite complète. Les qualités de la voix et du style de Carlo Vistoli sont remarquables, tout comme l’homogénéité du timbre qui affronte crânement les différents registres. Les ornementations sont extrêmement soignées et raffinées, la longueur de souffle est souvent impressionnante et permet les très beaux traits de virtuosité qui émaillent le disque. Le plus frappant, à l’écoute répétée que permet le disque, c’est vraiment la capacité de Carlo Vistoli à varier en quelques instants les intentions et à rendre la variété des affects qui traversent ces pièces. Du sombre et dramatique désespoir de Lucrezia, au badinage un brin cruel de Ninfe et pastori ou à la profonde mélancolie de « Deh, lasciate… ».
Le Stagioni réalise un accompagnement brillant et engagé de ce travail très soigné et fouillé. La complicité et la communauté d’intentions entre les trois solistes et le contre-ténor sont une évidence tout au long de cet enregistrement qui est en tous points remarquable (sortie le 8 avril prochain).
Crédits photographiques : © Nicola Allegri
Programme et distribution :
Coffret avec livret bilingue (français-anglais), un CD, durée totale : 52 minutes, 18 secondes. La Musica - 2021
Enregistré du 31 octobre au 5 novembre 2021 la Scuola di Alto Perfezionamente musicale di Saluzzo (Italie) à l’Arsenal, Cité Musicale-Metz.
Compositeurs :
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Nicola Porpora (1686-1768)
Antonio Vivaldi (1678-1741)
(voir détails dans les pistes)
Chanteurs/Interprètes :
Carlo Vistoli, contre-ténor
Ensemble Le Stagioni : Ensemble Le Stagioni : Paolo Zanzu, clavecin, Marco Frezzato, violoncelle, Simone Vallerotonda, théorbe
Direction musicale : Paolo Zanzu
Pistes :
1 Haendel - La Lucrezia, HWV 145: Recitativo "O Numi eterni! O stelle"
2 La Lucrezia, HWV 145: Aria "Già superbo del mio affanno"
3 La Lucrezia, HWV 145: Recitativo "Ma voi, forse, nel Cielo"
4 La Lucrezia, HWV 145: Aria "Il suol che preme"
5 La Lucrezia, HWV 145: Recitativo "Ah, che ancor nell'abisso"
6 La Lucrezia, HWV 145: Furioso "Questi la disperata anima mia" – Recitativo "Ma il ferro che già intrepida stringo"
7 La Lucrezia, HWV 145: Aria "Alla salma infedel porga la pena"
8 La Lucrezia, HWV 145: Recitativo "A voi, padre, consorte, a Roma, al mondo"
9 La Lucrezia, HWV 145: Arioso "Già nel seno comincia"
10 La Lucrezia, HWV 145: Recitativo "Sento ch'il cor si scuote" – Furioso "Ma se qui non m'è dato"
11 Haendel - Ninfe e pastori, HWV 139b: Recitativo "Ninfe e pastori che nel sen nudrite"
12 Ninfe e pastori, HWV 139b: Aria "È una tiranna"
13 Ninfe e pastori, HWV 139b: Recitativo "Vince la ninfa mia coi suoi bei lumi"
14 Ninfe e pastori, HWV 139b: Aria "Ha nel volto un certo brio"
15 Ninfe e pastori, HWV 139b: Recitativo "Quest'oggetto sì vago e sì vezzoso"
16 Ninfe e pastori, HWV 139b: Aria "Ditele che il mio core"
17 Haendel - Deh, lasciate e vita e volo, HWV 103: Aria "Deh, lasciate e vita e volo"
18 Deh, lasciate e vita e volo, HWV 103: Recitativo "Crudele, impara almen dalla compagna"
19 Deh, lasciate e vita e volo, HWV 103: Aria "Lascia la dolce brama"
20 Porpora - Oh, se fosse il mio core, S. 74: Recitativo "Oh, se fosse il mio core"
21 Oh, se fosse il mio core, S. 74: Aria "Se lusinga il labbro e il ciglio"
22 Oh, se fosse il mio core, S. 74: Recitativo "Mi fa barbara e ingrata"
23 Oh, se fosse il mio core, S. 74: Aria "Sento pietade"
24 Vivaldi - Pianti, sospiri, e dimandar mercede, RV 676: Recitativo "Pianti, sospiri, e dimandar mercede"
25 Pianti, sospiri, e dimandar mercede, RV 676: Aria "Lusinga è del nocchier"
26 Pianti, sospiri, e dimandar mercede, RV 676: Recitativo "O ingannato nocchiero"
27 Pianti, sospiri, e dimandar mercede, RV 676: Aria "Cor ingrato, dispietato"