L’ouvrage fut pensé par Massenet pour la soprano Sibyl Sanderson et originellement destiné à l’Opéra-Comique. Ce dernier ayant refusé les prétentions de Sibyl Sanderson en termes de cachet, c’est en définitive l’Opéra de Paris qui accueillit la création, après adjonction de l’inévitable ballet. La création ne rencontra qu’un succès limité, notamment auprès de la critique, probablement, entre autres choses en raison du caractère sulfureux de l’intrigue. Il faudra que Massenet revisite sa partition (en ajoutant le tableau de l’oasis, écrivant un nouveau ballet, et aménageant le finale) et que le rôle-titre soit repris par Lina Cavalieri au début du 20e siècle pour que l’œuvre connaisse le succès.
Cet opéra en trois actes met en musique les destins croisés -et dramatiques -, dans l’Alexandrie du 4e siècle, de la courtisane accédant à la rédemption et du moine empli de sensualité et voué à la damnation. La partition de Massenet est un véritable chef d’œuvre tant sont fines et soignées la description des évolutions psychologiques des deux personnages et la progression dramatique de l’œuvre.
Ludovic Tézier est un immense Athanaël : odieux de certitudes et de brutalité, manipulateur, son personnage laisse très progressivement apparaître une sensualité réfrénée mais éperdue, un besoin d’amour charnel très éloigné du mysticisme des premiers tableaux. Au-delà de la très grande beauté du timbre, de sa capacité à se déployer avec le même brillant sur toute la tessiture et d’une diction sans pareil, on admire sans réserve la capacité de Ludovic Tézier à rendre perceptible la moindre évolution de son personnage. Il est autant convaincant lorsqu’il se répand en imprécations intolérantes que lorsqu’il impose cyniquement sacrifices et souffrances à Thaïs ou lorsque, brisé, il réalise que la mort de Thaïs le laisse seul avec ses désirs inassouvis.
Face à ce très grand Athanël, la Thaïs d’Ermonela Jaho est toute en sensibilité, en lumineuse humanité. La voix est belle, généreuse, apte à de bouleversants piani-pianissimi et joue sur une impressionnante palette de couleurs. L’incarnation des différents états psychologiques de l’héroïne est parfaite, notamment dans la scène du miroir ou dans le tableau de l’oasis. Eminemment complice de Ludovic Tézier, elle délivre une scène finale tout en maitrise technique, dominant ses aigus, et, surtout, bouleversante d’émotion. Les seuls bémols, s’il faut en chercher, tiendraient à des graves un peu étouffés et à une diction parfois imprécise.
Pene Pati se coule en Nicias avec aisance et y témoigne d’une perfection technique, d’une élégance du chant et d’une douceur d’interprétation remarquables. Le personnage est léger, délicatement jouisseur, et Pene Pati nous donne à voir par instants un Nicias, plus profond, plus ému, plus subtil. Enfin, comme pour son Roméo au Comique, la diction est impeccable.
Guilhem Worms donne à la figure hiératique de Palémon toute la noblesse nécessaire. Imperturbable, le chant déployé se veut à l’évidence un contrepoint impassible aux agitations d’Athanaëm. Sonore et irréprochable de technique et de diction, ses interventions retiennent l’attention. Marie Gautrot est, en Albine, une belle découverte : la voix est très homogène, profonde et ronde. Enfin, Cassandre Berthon et Marielou Jacquard se complètent parfaitement dans les interventions des deux esclaves et le Chœur de Radio France donne le meilleur.
A la tête du « national » Pierre Bleuse évite les pièges orientalistes de cette partition et souligne avec beaucoup de bonheur et de musicalité les innombrables beautés de cette œuvre. En particulier, il parvient à faire de la très célèbre et très entendue Méditation un moment d’une grande beauté, tout empreint de rêve et d’intériorité. Malheureusement, si sa lecture est fine et travaillée, si son interprétation est d’une grande beauté, il peine à assurer les équilibres d’un orchestre de taille impressionnante (trop ?) avec les voix, couvrant parfois, par des fortissimi excessifs, des chanteurs exceptionnels.
Le TCE était comble pour cette distribution d’exception et c’est une longue et vibrante ovation que le public a adressée aux protagonistes de cette soirée éblouissante.
Crédits photographiques : © Jean-Yves Grandin
Programme et distribution :
Jules MASSENET (1842-1912)
THAIS
Opéra en trois actes et sept tableaux (version d’avril 1898)
Livret en français de Louis Gallet, d'après le roman d’Anatole France.
Créé à l'Opéra de Paris, le 16 mars 1894
Thaïs : Ermonela Jaho
Athanaël : Ludovic Tézier
Nicias : Pene Pati
Palémon : Guilhem Worms
Albine : Marie Gautrot
Crobyle : Cassandre Berthon
Myrtale : Marielou Jacquard
Chœurs de Radio France
Orchestre national de France
Direction musicale : Pierre Bleuse