Ce Moïse et Pharaon ou le passage de la Mer Rouge est la version française du Mosè in Egitto, créé par Rossini au Teatro San Carlo de Naples le 5 mars 1818 sur un livret italien d’Andrea Leone Tottola, tiré d’une tragédie de Francesco Ringhieri L’Osiride (1760). Le Mosè in Egitto connut un grand succès et la prière du dernier acte fut utilisée lors des cérémonies funéraires dédiées à Rossini.
Pour l’Opéra de Paris, Rossini réaménagea sa partition en quatre actes (au lieu des trois initiaux), réécrivit l’introduction du premier acte, ajouta l’inévitable ballet au III et composa un nouveau finale pour cet acte. Le Mosè fut ainsi transformé en grand opéra à la française, genre à l’époque nouveau, caractérisé par des sujets à forte connotation politique, par des dimensions monumentales, des inventions scéniques importantes…
S’inscrivant dans cette esthétique musicale, Tobias Kratzer propose ainsi une vision très politique du propos. L’esclavage des Hébreux et leur conflit avec l’Egypte est transposé avec intelligence et talent aux problèmes migratoires qui secouent nos sociétés et qui opposent une humanité en recherche d’espérance à une société du confort, de l’hédonisme et de l’égoïsme. D’un côté un camp de migrants avec ses abris de fortune et les violences policières ; de l’autre des décideurs dominants, en costumes ajustés et cravates sombres, qui croient diriger un monde qui leur échappe totalement et dans lequel les catastrophes naturelles se multiplient. Pourtant, le résultat est un peu moins percutant que la mise en scène du Faust à Bastille : la faute à une œuvre qui abonde en moments choraux et statiques ? La faute à des choix de mise en scène qui affadissent le propos comme ce personnage de Moïse issu des Dix Commandements ? Restent malgré tout quelques moments très puissants, comme l’évocation vidéo des catastrophes de notre ère pour représenter les plaies d’Egypte ou la prière du dernier acte, chantée depuis les côtés de la cour tandis que la scène est occupée par des touristes bronzant au bord de la Mer Rouge.
La direction de Michele Mariotti est précise et équilibre impeccablement les différents pupitres d’un Orchestre de Lyon plutôt en forme. Il assure aussi un excellent équilibre avec le plateau et les chœurs de l’Opéra de Lyon serve superbement cette très belle –et difficile- partition chorale. Mais tout ceci sonne fort sage et on aurait aimé un peu plus d’énergie dans l’interprétation de la partition.
Michele Pertusi est décevant en Moïse : la voix est engorgée, peine dans les graves, notamment au I, la diction française des plus approximatives et la puissance de la projection ne dissimule pas une interprétation monolithique qui n’utilise que la vindicte et qui privilégie vraiment trop la déclamation coléreuse.
Adrian Sâmpetrean est musicalement et vocalement plus convaincant, la ligne de chant est belle et appropriée stylistiquement mais l’interprétation reste un peu terne, comme écrasée par ce Moïse tonitruant et mal embouché.
Pene Pati est comme d’habitude très à l’aise sur la scène. Le timbre solaire et la diction impeccable du français servent superbement son Amenophis. À l’inverse, Jeanine de Bique, pourtant très applaudie, n’est pas du tout convaincante en Anaï, faute de maitriser le style adéquat et à raison d’une émission qui privilégie le suraigu au détriment de tout le reste. Au surplus, elle n’a pas les vocalises du rôle et sa diction est des plus indistinctes.
Edwin Crossley-Mercer réussit à imposer un Osiride de très bonne facture, à la voix qui déploie de belles couleurs, malgré une projection un peu discrète. La Sinaide de Vasalisa Berzhanskaya, justement très applaudie, est superbe : la voix est riche, naturelle, colorée, les variations sont inventives et les aigus assénés avec aplomb. Le ténor Mert Süngü fait rapidement montre de ses limites vocales dans un Eliézer peu impressionnant. Enfin, Géraldine Chauvet donne beaucoup de présence au rôle de Marie, sachant traduire tout l’amour maternel dans la moindre des inflexions d’un chant maitrisé et particulièrement beau. Alessandro Luciano est quant à lui très présent dans un très bel Aufide, avec un style irréprochable.
Enfin, la chorégraphie de Jeren Verbruggen parvient à convaincre malgré le côté un peu artificiel de cette partie de la partition. Servie par d’excellents danseurs, elle réussit à être convaincante et à s’intégrer dans le propos dramatique.
Crédits photographiques : © Monika Rittershaus
Programme et distribution :
Gioacchino ROSSINI (1792-1868)
MOISE ET PHARAON ou le passage de la Mer Rouge
Opéra en quatre actes
Livret en français de Luigi Balocchi et d’Etienne de Jouy
Créé à Paris (académie royale de musique – salle Le Peletier) le 26 mars 1827
Mise en scène : Tobias Kratzer
Décors et Costumes : Rainer Sellmaier
Lumières : Bernd Purkrabek
Chorégraphie : Jeroen Verbruggen
Vidéo : Manuel Braun
Moïse : Michele Pertusi
Pharaon : Adrian Sâmpetrean
Anaï : Jeanine De Bique
Aménophis : Pene Pati
Sinaïde : Vasilisa Berzhanskaya
Eliézer : Mert Süngü
Marie : Géraldine Chauvet
Osiride, Une voix mystérieuse : Edwin Crossley-Mercer
Aufide : Alessandro Luciano
Elegyne, princesse syrienne : Laurène Andrieu
Danseuses et danseurs : Martin Angiuli, Guido Badalamenti, David Cahier, Clémentine Herveux, Lou Thabart, Emiel Vandenberghe, Chiara Viscido
Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon
Chef des Chœurs : Richard Wilberforce
Direction musicale : Michele Mariotti