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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


9 novembre 2022 – Armide (Gluck) à l’Opéra-Comique.

Publié par Jean Luc sur 11 Novembre 2022, 19:23pm

Histoire étonnante que celle de la composition de Armide : Gluck, alors en proie à la concurrence sévère de Piccini et de Mondonville, ayant fait le choix, plutôt très osé, de reprendre intégralement (ou presque) le livret de Quinault écrit pour l’Armide de Lully un siècle plus tôt. Le succès d’Armide puis celui du Roland de Piccini quelques semaines plus tard (création le 17 janvier 1778), marqua le départ de « la guerre » des gluckistes et des piccinistes. Le succès rencontré à sa création permit à Armide d’être jouée de façon régulière jusqu’à nos jours, avec des éclipses mais sans jamais disparaître totalement, et d’être fréquemment servie par des artistes de haut niveau (Meyerbeer, Wagner, Serafin, Toscanini, Muti, Caruso, Caballe...)

La princesse syrienne Armide domine les chevaliers croisés qu’elle détient en captivité. Tous sauf un, Renaud. Elle s’offre en mariage à celui qui triomphera de Renaud, alors que celui-ci vient de délivrer tous les chevaliers captifs d’Armide. Alors qu’Armide, par magie, réussit à capturer Renaud, elle tombe amoureuse de celui-ci et, toujours par magie s’assure de la réciprocité de cet amour. Le charme sera brisé par deux chevaliers et Renaud, libéré, abandonne Armide qui détruit son domaine et jure de se venger.

De cette histoire de magie, de sexe, de domination  et d’amour, Lilo Baur se montre très embarrassée, pour ne pas dire complètement dépassée. On cherche en vain la lecture qu’elle a pu faire de cette histoire de passions : nulle magie, fort peu d’érotisme, des passions écrasées par une mise en scène totalement statique et une lecture sans imagination : les plaisirs et les monstres sont étrangement figurés de la même façon. La direction d’acteurs est indigente, laissant les protagonistes errer sur le plateau en écartant les bras et se concentrant sur des mouvements rotatifs des chœurs, soûlants et vaguement animés par les trois danseurs qui font ce qu’ils peuvent d’un plateau encombré et d’une absence de chorégraphie. Les décors ne sont pas laids mais ces assemblages métal-néon et cet arbre parfois mort parfois opulent ont déjà été vus mille fois. Les costumes sont laids, juste sauvés par le recours fréquent à de très belles couleurs. Restent les très belles lumières de Laurent Castaing qui signe de très beaux tableaux et qui sauve cette production du naufrage complet.

Miraculeusement, cette mise en scène ne ruine pas le spectacle.

Véronique Gens est immense en Armide. La diction est parfaite, le phrasé souverain et la maitrise de la déclamation et du vocabulaire musical de Gluck est totale. Emouvante, terrifiante, redoutable, elle réussit à incarner toutes les facettes de son personnage dont la tessiture lui sied à merveille. Sans recourir à des effets ou des facilités, elle incarne Armide avec un naturel, une spontanéité très modernes mais qui assument totalement la filiation avec la tragédie. Elle conduit savamment son personnage jusqu’à la scène finale qui est proprement bouleversante.

Le Renaud de Ian Bostridge n’est malheureusement pas à la hauteur de cette incandescente Armide et le distribuer dans ce rôle est probablement une erreur. Si la diction est très convenable, l’émission est souvent très étrange, forcée comme si le rôle exigeait du chanteur des efforts surhumains. Le volume varie sous l’effort, et n’est parfois plus maitrisé, ce qui s’avère particulièrement gênant dans le grand duo d’amour.

Edwin Crossley-Mercer est un Hidraot imposant, royal. Son timbre riche et sombre convient parfaitement au personnage auquel il donne élégance du chant et pureté du style.

Anaïk Morel est une Haine hystérique et d’une méchanceté inquiétante. Emportée par les tempi un rien déraisonnables que lui impose Rousset, elle fait face aux écarts de tessiture et à la virtuosité du rôle avec succès. Les exigences de volume qu’appelle sa scène avec chœur l’obligent toutefois à sacrifier un peu sa diction.

Philippe Estèphe est très à son aise dans ce répertoire et il incarne son chevalier avec beaucoup de naturel et de conviction. Le timbre est beau et le style élégant, adapté aux exigences de la déclamation Je suis moins convaincu par Enguerrand de Hys dont le timbre se plie assez mal à mon avis à ce répertoire. Les suivantes d’Armide, Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal, sont tout à fait adaptées à ces rôles légers auxquels elles prêtent des voix bien projetées et très agréables, avec, pour ma part, une préférence pour la première, dont le chant me semble plus abouti.

Le chœur Les Eléments délivre une superbe prestation. Tout particulièrement, son intervention dans la scène du sommeil confère à celle-ci une beauté très émouvante.

Christophe Rousset privilégie une lecture très dramatique de l’œuvre, exposant les passions dans un style qui annonce le romantisme. En totale cohérence avec cette lecture, il bouscule beaucoup les tempi mais parvient toujours à veiller à ses chanteurs qui sont plus stimulés que gênés par ce rythme. Il fait chatoyer les couleurs de ses Talens lyriques, en grande forme, et expose la beauté ineffable des vents.

Il faut aller écouter cette production de l’Opéra-comique qui est un évènement musical : la beauté de l’interprétation fait très rapidement oublier le regrettable raté de la mise en scène.

Programme et distribution :

Christoph Willibald Gluck (1714-1787)

ARMIDE

 

Drame héroïque en 5 actes

Livret en français de Philippe Quinault

Créé à Paris, Académie royale de musique, salle des Tuileries, le 23 septembre 1777.

 

Armide : Véronique Gens

Renaud : Ian Bostridge

Hidraot : Edwin Crossley-Mercer

La Haine : Anaïk Morel

Aronte / Ubalde : Philippe Estèphe

Artémidore / Le Chevalier danois : Enguerrand de Hys

Sidonie, Mélisse, Bergère : Florie Valiquette

Phénice, Lucinde, Plaisir et Naïade : Apolline Rai-Westphal

 

Danseurs : Fabien Almakiewicz, Nicolas Diguet et Mai Ishiwata

 

 Mise en scène : Lilo Baur

Décors : Bruno de Lavenère

Costumes : Alain Blanchot

Lumières : Laurent Castaingt

Assistante mise en scène : Céline Gaudier

Cheffe de chant : Brigitte Clair

 

Choeur Les éléments

Orchestre Les Talens Lyriques

 

Direction musicale

Christophe Rousset

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