Créé à Milan (Theatro Carcano) le 16 mars 1831, avec –excusez du peu – Giuditta Pasta et Giovanni Rubini, La Somnambule est considérée comme l’un des trois chefs d’œuvre de Bellini et a connu un succès qui ne s’est jamais démenti. Le rôle-titre a attiré les plus grandes : Giuditta Pasta, Maria Malibran, Adelina Patti, Jenny Lind, Maria Callas, Joan Sutherland, June Anderson, Nathalie Dessay…
Opéra romantique par excellence, il est construit dans un climat pastoral, une Suisse rêvée… Si l’intrigue se concentre très classiquement autour des affres d’une héroïne follement amoureuse et injustement délaissée par un ténor maladivementjaloux et un tantinet obtus, la Somnambule présente la particularité, pour l’époque, de connaitre un happy end puisque les deux amoureux se retrouveront et finiront par s’épouser. La petite histoire raconte que Bellini aurait quand même refusé que le Comte Rodolfo se révèle à la fin de l’œuvre comme le père naturel d’Amina…
Ce que l’on retiendra de cette très belle soirée est l’exceptionnelle homogénéité du plateau. A la baguette, Christopher Franklin dirige l’orchestre de chambre de Paris avec une précision implacable et ne s’autorise quasiment aucun effet d’interprétation, à l’exception de l’irruption des villageois dans la chambre du Comte à la fin de l’Acte I, scène dans laquelle on le sent –fugitivement- s’amuser et se laisser aller… Mais cette retenue orchestrale est strictement conforme à la marque emblématique de cet opéra dans lequel la musique est vraiment seconde et la composition d’une simplicité qui ne vise qu’à servir la voix. On ne peut que savoir gré à Christopher Franklin, très attentif à sa superbe équipe, de l’avoir compris et traduit. Les nombreuses interventions des villageois, personnage à part entière, sont très bien interprétées, variant les intentions avec bonheur, par Les Cris de Paris dirigés par Geoffroy Jourdain.
Ugo Rabec livre une belle interprétation d’Alessio. Le timbre de basse est riche et profond et l’engagement est tel qu’on se prend à espérer qu’il récupérera sa Lisa à la fin… Plus statique, moins actrice, la mezzo Rachel Kelly nous fait aisément oublier son jeune âge dans le rôle de Teresa et compose une mère peut être un peu trop noble mais qui met en valeur une voix aux qualités très prometteuses.
Jennifer Michel interprète une Lisa à la sensualité et à la duplicité éclatantes. Sa prestation est une des belles découvertes de cette soirée et il fait peu de doute que nous retrouverons ce beau soprano dans des rôles plus importants.Son interprétation du « De’ lieti auguri… » était tout à fait remarquable. De même la basse Nicola Ulivieri a livré une belle caractérisation d’un Comte Rodolfo privé d’illusions sur l’espèce humaine, servie par un timbre flexible, charnu et un legato impeccable.
John Osborn est sans conteste un authentique ténor belcantiste. Le style est irréprochable, le legato impeccable. Le timbre est souple et chaleureux mais, soit fatigue passagère, soit tessiture du rôle un peu trop aigüe, les aigus sont souvent un peu trop tirés pour mon goût. L’élégance du chant que dispense John Osborn fait toutefois paraitre ce qui semble une limite comme très secondaire, d’autant qu’il parvient, en version de concert, à faire exister un Elvino dont le personnage est, il faut bien le dire, assez inconsistant.
Distribution exceptionnelle donc mais distribution dominée par l’Amina de Sabine Devieilhe. J’avais déjà eu l’occasion de dire tout le bien que j’en avais pensé dans le récent Mithridate du même TCE mais elle aborde ici à des rivages éloignés de Rameau et du jeune Mozart, dans un rôle lourd exigeant une parfaite maîtrise des techniques du bel canto et marqué par des chanteuses illustres. Et Sabine Devieilhe se hisse d’emblée au niveau. Au plan technique, l’expression domine sans cesse une technique irréprochable, au point que les aigus de sa partie dans le quintette final du Ier acte sont à la fois d’une très grande beauté et semblent comme jetés à la face du public. Les ornementations sont soignées, élégantes et toute la palette technique y est, sans quasi aucune faiblesse tout au long de l’ouvrage. La scène finale la voit triompher après un « Ah non credea… » d’une infinie tristesse et un « Ah non giunge… » décoiffant et scandé avec un bel aplomb.