La première mise en scène de Claus Guth à Paris était très attendue. Décor unique constitué par un carton dans lequel va se dérouler toute l’action. L’idée de départ, qui tient dans la présence d’un double de Rigoletto, clochardisé après le drame qui se déroule sur scène, et qui est présent en permanence avec son carton, dérisoire boite à souvenirs, est séduisante. Mais elle s’avère très rapidement insuffisante pour rendre compte d’une action dramatique assez complexe. Le recours aux vidéos est extrêmement banal et la multiplication des danseurs et figurants confine parfois au ridicule (notamment dans la scène de « La donna e mobile »). Bref, cette mise en scène est très insuffisante à rendre compte de la complexité des personnages et se borne à en donner des caricatures. Au moins n’est-elle pas gênante et, encore une fois, le double de Rigoletto (Pascal Lifschutz) est souvent très émouvant, et constitue une belle idée.
Plus gênante est la caricature musicale que livre Nicola Luisotti. Sa direction tonitruante concentrée sur des ruptures de tempi dont je me bornerai à dire que je les ai trouvées…. étranges, gêne considérablement les interprètes, auxquels, du reste, il n’accorde quasi aucune attention, pas même dans les ensembles….. De cette recherche d’effet et de volume sonore aucune grâce ne sort, sauf le superbe duo du II entre Gilda et son père, au cours duquel Nicola Luisotti semble enfin touché par une révélation verdienne avant de sombrer à nouveau dans ses travers pour le « Si, vendetta »…
Heureusement, la distribution, elle, tient les promesses de l’affiche. Le seul bémol à ce constat sera le Duc de Michael Fabiano qui alterne des moments de grand bonheur avec des difficultés patentes sur certains aigus très râpeux -et d’une justesse parfois plus qu’approximative- et un haut medium qui semble par instant comme fêlé. Signe inquiétant, fatigue passagère ou difficulté (compréhensible) à faire face à la déferlante de décibels que lui inflige impitoyablement Luisotti ?
Tous les seconds rôles sont impeccables et de haute tenue : Isabelle Druet (Giovanna), Michal Partyka (Marullo), Christophe Berry (Borsa), Tiago Matos (Ceprano), Andreea Soare(Contesa). Le Chœur de l’Opéra est, comme le plus souvent, au meilleur niveau.
Vesselina Kasarova avec son somptueux timbre sombre et mat met en avant, dans son interprétation de Maddalena, plus de sensibilité que d’autres interprètes, voire un rien de mièvrerie, et c’est une réussite. De même, chez les hommes, somptueux Monterone de Mikhail Kolelishvili et tout aussi luxueux et inquiétant Sparafucile de Rafal Siwek.
En Gilda, Olga Peretyatko cotoie les sommets. Les traces de fatigue qu’on avait cru repérer lors de son dernier concert parisien ont disparu. Le suraigu semble moins facile qu’avant mais l’ornementation du chant est digne des plus grandes belcantistes : trilles abondants et très précis (mais ils seront étouffés par le déluge orchestral dans « Caro nome »), notes filées, piani anxieux, superbes diminuendos.... L’interprétation vocale est parfaitement en ligne avec la caractérisation qu’elle propose de Gilda, dont elle fait une jeune femme absorbée par son désir et sa passion plus qu’une naïve adolescente.
Quinn Kelsey appuie son très beau Rigoletto sur une voix puissante, au timbre doué d’un charme évident, et un haut medium remarquablement aisé. Vocalement et scéniquement, il se sort admirablement d’un rôle difficile dans lequel il faut à la fois incarner l’exécuteur des basses œuvres du Duc et le père aimant et vengeur, bourreau et victime c’est selon le moment et la situation.
Au total, une belle soirée qui aurait vraiment gagné à un peu plus de discrétion et de modestie dans la fosse.