4 mai 2017 - Semiramide (Rossini) à l'Opera national de Lorraine.
Trente troisième opéra de Rossini, Semiramide est créé le 3 février 1823 à La Fenice de Venise. La distribution prestigieuse regroupe à la création Isabella Colbran (Semiramide), Rosa Mariani (Arsace), Filippo Galli (Assur). L'ouvrage rencontre immédiatement le succès, et entame une carrière internationale qui le conduira notamment à Londres (1824), aux Italiens (1825) et à St Petersbourg (1836). Repris jusqu'à la fin du XIXème siècle, notamment à New York (1893, avec Melba) il connaîtra ensuite une éclipse jusqu'à la renaissance rossinienne de la deuxième moitié du XXème siècle qui verra progressivement cette tragédie reprendre place au répertoire en dépit des exigences de sa distribution.
L'écriture particulièrement ornée exige pour les rôles de Semiramis et d'Arsace des interprètes de tout premier plan, rompues aux techniques du bel canto et à la voix infaillible. L'œuvre impose également une basse chantante exceptionnelle pour Assur, sans parler de la basse profonde indispensable pour Oroe et des deux ténors, dont l'un à la tessiture élevée.
La mise en scène de Nicola Raab, sobre et élégante, semble dans un premier temps agréable. Reposant sur du théâtre dans le théâtre, utilisant une scène sur tréteaux, des rideaux et des accessoires qui tombent des cintres, elle constitue un jeu permanent de miroirs entre la scène et les coulisses et entre les scènes et la salle. Des costumes splendides et la présence d'un contre ténor ajoutent encore à cette esthétique baroque. Référence pleinement assumée par Nicola Raab, laquelle souligne, dans le programme de salle, que Semiramide se situe "entre baroque et belcanto" (sic) et que cet opera voit cohabiter deux styles "le baroque et le début du XIX° siecle". Partant de ces affirmations, elle lit Semiramide comme un opera de transition, un hommage nostalgique à l'opéra baroque. Le problème est que l'idée est un peu courte et qu'elle tourne rapidement à vide. Faute d'une conception des personnages, la direction des acteurs se limite à régler des déplacements et à mettre en avant des poses hiératiques ; elle laisse aux chanteurs la responsabilité de l'incarnation et de l'approfondissement psychologique. Enfin, cette lecture de l'ouvrage est en elle même un contresens. Si la filiation de Semiramide avec l'opera seria du XVIII° est évidente, l'œuvre, avec ses grandes scènes avec chœur, ses ensembles, ses sublimes duos, son argument qui voit mourir Semiramis en scène (tuée par son fils...) et le parcours initiatique des personnages est tout sauf baroque. Contresens aussi que de prêter à Rossini la nostalgie d'un genre dont il a tant contribué à Naples à casser les rigidités.
Reconnaissons-le sans ambages, l'attrait de cette production nancéienne tenait à la reprise du rôle d'Arsace par un contre ténor et à la présence à l'affiche de Franco Fagioli. Confier à un contre ténor le rôle d'Arsace, écrit pour un contralto féminin, est dramatiquement une bonne idée car elle contribue à "masculiniser" le personnage et donne de l'épaisseur au drame pour un spectateur d'aujourd'hui. Franco Fagioli y donne toute la mesure de ses moyens exceptionnels : une tessiture inouïe, une incroyable longueur de souffle, une virtuosité sans défaut, un timbre d'une grande beauté. Mais malgré une puissance d'émission remarquable pour un contre ténor, et malgré l'attention soutenue du chef et de ses partenaires, Franco Fagioli est peu audible dans les ensembles et ne parvient pas à dominer le choeur. C'est là la limite -physiologique- de ce pari, alors même que les conflits intérieurs d'Arsace sont rendus de jolie façon.
Salome Jicia est une belle Semiramide. La voix est à la fois typée et très agile, la technique belcantiste est éprouvée (avec notamment des vocalises au staccato irreprochable) et la puissance ne nuit pas à la capacité de nuancer l'émission. L'aigu est toutefois un peu trop tiré et un souffle parfois un peu court nuit à la précision dans le haut du registre. Plus à l'aise au second acte qu'au 1er (avec un Bel raggio... un peu fade) Salome Jicia parvient néanmoins à surmonter cette redoutable partition et à composer une reine impérieuse et dont la monstruosité finit par s'effacer devant l'humanité.
La tres belle basse chantante de Nahuel Di Pierro tire le meilleur parti possible du rôle d'Assur auquel il confère un impressionnant relief. Les graves sont de toute beauté et une grande technicité lui permet de faire face à la redoutable agilité requise. Très investi dans le rôle, il bouge beaucoup et avec fougue. Se libérant vocalement au cours de la représentation, il donne une interprétation remarquable, digne des plus grands, de sa scène de folie au II. C'est lui aussi qui impulse une grande partie de la tension dramatique - à laquelle la mise en scène contribue si peu - avec une forte présence scénique et vocale dans ses duos avec Arsace (I, 7) et plus encore avec Semiramide (II, 3).
Un peu trop figé dans son encombrant costume Louis XIV, Matthew Grills maîtrise très bien les vocalises d'Idreno avec une voix solide de ténor léger qui répond aux exigences d'agilité et à la hauteur de la partition. A la fois Oroe et Ombre de Nino, Fabrizio Beggi est doté d'une superbe basse profonde, ample, puissante et noire à l'envi. Dans les petits rôles de Mitrane et d'Azema, le ténor Ju In Yoon et la soprano Inna Jeskova apportent conviction et maitrise.
La réunion des chœurs des opéras de Nancy et de Metz n'est pas totalement convaincante. S'ils sont dotés d'une belle puissance, ils sont peu homogènes, dominés tant dans leur partie féminine que masculine par les pupitres aigus, ce qui déséquilibre les ensembles.
A la baguette Domingo Indoyan ne cèdre heureusement pas à la conception baroque de la mise en scène. D'une grande précision, sa direction privilégie les chatoiements à la puissance, ménage quelques superbes crescendos et veille avec une grande attention à l'équilibre avec le plateau. Si, dans l'ouverture et au Ier acte, les masses ne sont pas toujours bien équilibrées, au détriment de cuivres qui sonnent comme étouffés, ces défauts semblent corrigés au II. C'est une conception pure de l'orchestre rossinien qui accompagne le chant sans jamais l'écraser, qui se plaît à défier la virtuosité des chanteurs et à la souligner.