Ce neuvième opera de Verdi est marqué d’une part par les changements en cours de route de librettiste (Piave puis Solera puis à nouveau Piave) et par la maladie qui frappe Verdi pendant la période de composition, le forçant a l’inactivité pendant deux mois. Commande de La Fenice, l’opéra y fut créé le 17 mars 1846. La première fut contrariée par la maladie de certains chanteurs et par des problèmes techniques de plateau et il fallut attendre la troisième représentation pour que l’accueil de l’œuvre soit triomphal, malgré l’occupation autrichienne et le propos patriotique. Verdi est raccompagné par le public à l’issue de la représentation, avec couronnes, orchestres et torches, et le lendemain la Gazetta de Venise publie des louanges dithyrambiques. Attila traverse alors toute l’Italie, de Florence à Naples, en passant par la Scala, rencontrant à chaque fois un accueil enthousiaste. Même succès à l’international jusqu’aux années 1860 à partir desquelles il sombre dans l’oubli pendant un siècle.
On a beaucoup reproché ses indéniables incohérences au livret, dont le souffle patriotique fut pourtant central dans le succès initial de l’œuvre. On a également beaucoup reproché à Verdi des effets trop nombreux et un peu faciles et le caractère bruyant de sa partition : pourtant cette œuvre de jeunesse est pleine de mélodies d’une grande beauté, d’airs d’une grande virtuosité, de chœurs grandioses et on y pressent la mutation dramatique qui va s’amorcer nettement dès l’année suivante avec Macbeth.
Coproduite avec l’Opera de Lyon, cette production en version de concert permet de gommer les incohérences du livret qu’une mise en scène aurait inévitablement soulignée (les soudains remords d’Odabella, l’absence de participation d’Ezio à la victoire en dépit des numéros qui précèdent, l’invraisemblable réunion des protagonistes pour le final....).
La direction de Daniele Rustioni est le petit miracle de cette soirée. Adoptant des tempi très rapides, il fait donner son meilleur à cette partition qu’il exalte avec passion sans jamais tomber dans la facilité du bruit et de l’emphase. Totalement engagé dans la defense de l’œuvre, Rustoni ne lache aucun de ses instrumentistes ou de ses interprètes plus que le temps d’une double croche, veillant de façon maniaque mais avec grand bonheur aux équilibres et aux sonorités, et s’assurant que ses interprètes surmontent, malgré les tempi dynamiques qu’il impulse, les redoutables acrobaties vocales de leurs rôles. Cette passion, cette fougue, cette envie de musique sont un moment totalement décapant, qui redonne vie et vigueur à la musique de Verdi. Sous sa conduite, l’orchestre de l’Opera de Lyon est impeccable et les chœurs excellents.
La distribution est totalement dominée par l’Attila d’Erwin Schrott. Le timbre est beau et profond et la voix particulièrement sonore, ample et homogène. L’incarnation, soutenue par des graves somptueux et un aigu particulièrement rayonnant, est tout simplement exceptionnelle. Son roi des Huns est peut être trop humain, trop sympathique, trop fin pour être vraiment fidèle à l’intention patriotique de Verdi mais toute sa prestation est un régal.
Odabella est l’un des rôles féminins de Verdi les plus difficiles requérant un véritable soprano colorature dramatique capable des énormes écarts écrits mais pouvant aussi assumer et les vocalises virtuoses et le lyrisme plus intériorisé. Tatiana Serjan s’y mesure crânement, utilisant une puissance remarquable et une raucité du timbre dignes d’une lady Macbeth. Mais la diction manque très souvent de netteté et ses aigus sont très étrangement projetés, comme trop maîtrisés. De plus, de tous les chanteurs, elle semble être celle qui souffre le plus du tempo démoniaque imposé par Rustoni. Néanmoins, elle parvient à assumer ce rôle redoutable entre tous et à dominer l’extraordinaire diversité de couleurs qu’il impose.
Alexey Markov a le mérite de réussir est à exister face à ces deux chanteurs hors pair. La voix est solide et la technique irreprochable mais l’incarnation est un peu pâle et on ne parvient guère à croire aux hésitations du héros italique....
Le Foresto de Massimo Giordano est plus intéressant. Le chant est dépouillé et le timbre très clair et parfois un peu blanc. La technique est impeccable et l’interprétation très crédible, servie par une belle diction. Sa présence dans les ensembles est remarquable malgré une puissance un peu plus limitée que celle de ses partenaires.
Dans cette belle soirée, on a également relevé la belle prestation du jeune ténor Grégoire Mour dans le petit rôle d’Uldino.
Programme et distribution :
Attila
Drame Lyrique en un prologue et trois actes
Livret de Temistocle Solera et Francesco Maria Piave
Créé à Venise, Teatro la Fenice, le 17 mars1846
Direction musicale : Daniele Rustioni
Préparation du choeur : Barbara Kler
Orchestre et choeur de l’Opera national de Lyon
Attila : Erwin Schrott
Odabella : Tatiana Serjan
Ezio : Alexey Markov
Foresto : Massimo Giordano
Uldino : Grégoire Mour
Leone : Paolo Stupenengo
(Photo © Blandine Soulage)