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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


19 décembre 2017 - Le Comte Ory (Rossini) à Favart

Publié par Jean Luc sur 22 Décembre 2017, 23:28pm

 

1828. Rossini est au faîte de sa gloire parisienne et il règne sans partage sur la scène lyrique parisienne. L’année suivante, il posera les bases du grand opera à la française avec Guillaume Tell puis, dans deux ans, il cessera definitivement de composer des opéras, alors qu’il n’a que 38 ans et qu’il est très exactement au milieu de sa vie. Le 20 août 1828, l’Opera de Paris (salle Le Peletier) voit la création (avec Nourrit et Levasseur) du Comte Ory, opéra en deux actes sur un livret de Scribe, qui connaîtra un grand succès tout au long du XIXème siècle. 

 

A ceux qui s’étonnent qu’une œuvre aussi légère ait pu être créée à l’Opera, on rappellera que cette maison avait alors le monopole des ouvrages en français entièrement chantés, caractéristiques que présentent le Comte Ory. A ceux qui s’étonnent du réemploi très important de morceaux d’autres ouvrages, en particulier du Voyage à Reims (1825), on rappellera qu’il s’agissait avant tout de faire dans l’économie, la création en prédation du Guillaume Tell s’avérant fort coûteuse. Si le 1er acte est caricatural de cette technique de réutilisation (seul le duo Isolier-Ory constitue un numéro original, tout le reste provenant d’œuvres antérieures), le second acte est plus inventif avec le superbe trio de la séduction et seulement 2 numéros repris d’autres opéras). Le Comte Ory est de fait un ouvrage hybride, à la frontière de l’opéra à la française (dont il n’a pas les dialogues intercalés) et de l’opera buffa (dont il n’a pas les récitatifs secco). C’est probablement cet habile mélange des deux genres, qui annonce le Grand Opéra à la française, l’incroyable dynamisme qui habite la partition et la grande virtuosité exigée des interprètes qui explique le succès de cet œuvre hybride.

 

L’argument est léger et assez faible, bien dans l’esprit de la comédie de l’époque et du vaudeville auquel il emprunte le goût du quiproquo et de la grivoiserie. Il narre les efforts infructueux d’un jeune aristocrate libertin pour séduire une jeune fille vertueuse. En l’absence du Comte de Formoutiers, parti aux croisades, le Comte Ory tente de séduire sa sœur, Adèle, restée seule au château. Au Ier acte, il fera ses tentatives de séduction, sous le déguisement d’un ermite et sera découvert par son précepteur qui fera échouer la manœuvre. A l’acte II, il réussira à s’introduire dans le château déguisé en pèlerine surprise par la tempête, parviendra jusqu’à la chambre d’Adèle mais se verra privé de succès par le retour soudain des croisés.

 

Denis Podalydès choisit de transposer l’action à l’époque de création. Les croisés sont donc partis conquérir l’Algerie, ce qui n’apporte pas grand chose... L’acte I se déroule, on se demande bien pourquoi, dans une sacristie en grand désordre ce qui affaiblit la cohérence de l’action, notamment les chassés croisés avec Isolier et le Gouverneur.... A ce ridicule, l’acte II, qui est plus cohérent, ajoute une grivoiserie lourdingue, vulgaire et déplacée dans le léger et superbe trio de la séduction, défaut que l’on avait déjà perçu dans l’entrée d’Adele transformée -quel contresens- en nymphomane hystérique. Dommage vraiment que ces choix ratés de mise en scène d’autant que le travail de direction d’acteurs est remarquable, parsemé de trouvailles ingénieuses, porte une attention soutenue à tous les rôles, jusqu’aux plus modestes et fait de chaque interprète un acteur comique irrésistible. Saluons aussi les très beaux costumes de Christian Lacroix.

 

La direction de Louis Langrée est inégale et néglige un peu les équilibres et la precision, surtout dans les ensembles. Il a choisi une composition d’orchestre très cuivrée, au risque d’être un peu trop bruyant dans une salle de jauge limitée et au risque de sonner comme une harmonie. Mais si le finale du I est vraiment brouillon, on ne peut nier un bel enthousiasme sur l’ensemble de la représentation et une interprétation parfaitement saisissante de la tempête dans un acte II de meilleure tenue.

 

Heureusement, le plateau est remarquable et chaque rôle est tenu par un interprète de très haut niveau, à la diction française impeccable.

 

Dans le rôle du Comte, écrit pour Nourrit à une hauteur extravagante (pas moins de 1 contre-ré, 5 contre ut dièse et une bonne dizaine de contre ut), Philippe Talbot Livre une interprétation remarquable que l’on ne saurait réduire à des questions de hauteur d’émission ou d’homogénéité des registres, pourtant exceptionnellement gérées mais par la palette de couleurs et d’effets qui dressent un portrait ridicule et inquiétant d’un personnage qui mélange perversite, héroïsme et charme.

 

Julie Fuchs campe une Comtesse très discutable quant à l’incarnation voulue par le metteur en scène. Mais son entrée sur scène à l’acte I est proprement fracassante et traduit une accélération remarquable et bienvenue dans le déroulé de l’œuvre. La voix est extrêmement séduisante, le timbre charmant et l’agilité étourdissante et souvent pleine d humour. Les messa di voce et les trilles sont impressionants de virtuosité. 

 

Gaelle Arquez est magnifique et très séduisante. Son page est marqué par cette éclatante féminité qui semble toujours à l’étroit dans ce rôle travesti. Le timbre est riche, particulièrement coloré, une voix peut être trop ample au I. La hauteur du rôle est assumée avec talent et élégance. Le phrasé est superbe et les aigus sont faciles. 

 

Je suis fan de Jean-Sébastien Bou, qui a, comme d’habitude, une présence intense sur scène. Son  « Dans ce lieu solitaire » est plein d’énergie et le timbre est d’une beauté saisissante. Patrick Bolleire est à la scène un Gouverneur intéressant mais il est rapidement en difficulté avec les notes les plus graves de sa partie qui sont quand même nombreuses. Néanmoins, il affronte crânement la cavatine pourtant souvent coupée en raison de ses difficultés. S’agissant de Eve-Maud Hubeaux, on se demande ce qu’aurait été sa Comtesse Ragonde si elle n’avait été annoncée souffrante tant elle brûle les planches, appuyée sur une voix au timbre  remarquable, aux graves somptueux et à l’ampleur importante. 

 

Jodie Devos est exceptionnelle dans le tout petit rôle d’Alice, d’une incroyable présence ; une Alice de luxe !

 

 

Programme et distribution :

Le Compte Ory

Opéra en deux acte de Gioachino Rossini

Livret d’Eugène Scribe, en français

Créé à l’Opéra de Paris (salle Le Pelletier) le 20 août 1828

 

Direction musicale : Louis Langrée

Orchestre des Champs-Elysées 

Chœur  Les Eléments

Mise en scène : Denis Podalydès

Décors : Éric Ruf

Costumes : Christian Lacroix

Lumières : Stéphanie Daniel

Chef de chœur : Joël Suhubiette

 

Le Comte Ory : Philippe Talbot

La Comtesse : Julie Fuchs

Isolier : Gaëlle Arquez

Dame Ragonde : Éve-Maud Hubeaux

Le Gouverneur : Patrick Bolleire

Raimbaud : Jean-Sébastien Bou

Alice : Jodie Devos

 

 

 

(Photo © Vincent Pontet)

 

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