Composé en 1751, l’oratorio Jephtha, sur un livret en anglais de Thomas Morell, est créé au Covent Garden de Londres le 26 février 1752. La première mise en scène de ce qui est la dernière œuvre de Haendel est montée à Cambridge en 1934.
Décidément, les maisons d’opéra devraient renoncer une bonne fois pour toute à mettre en scène des oratorios qui n’ont pas été conçus pour cela. Créé en concert, Jephtha comporte certes des recitatifs, des arias et des chœurs mais ceci ne suffit pas à en faire un opéra, d’autant que les interactions entre les personnages sont quasi inexistantes et que le propos musical n’est pas de developper une action. Le livret est totalement dénué d’intérêt, ne soutient aucune caractérisation des personnages et se borne à une plate et convenue histoire biblique. En revanche, la musique écrite par un Haendel subissant des attaques de cécité et voyant approcher la mort est d’une profonde humanité, même si le propos musical -qui est celui d’un oratorio- est davantage d’exposer que de conduire une action. L’intérêt musical de cet oratorio est cependant assez limité. Mis en scène, ces contrastes deviennent aveuglants et le travail de Claus Guth ne s’en dépêtre pas. Partant du 1er vers de l’œuvre (« It must ne so » - Il doit en être ainsi), décliné à l’envi et à l’excès, Claus Guth tente de mettre en scène une histoire de pouvoir, d’erreurs et de détresse humaines et de révolte contre le pouvoir de la divinité. La tentative n’est pas dépourvue d’intérêt mais elle comporte un contresens avec un autre vers de l’œuvre (que l’on dit de la main même de Haendel) : « Whatever is, is right » (« Tout ce qui est, est juste »). Des costumes pauvres et dénués de sens, une direction d’acteurs limitée à quelques effets (assez réussis, il est vrai), un symbolisme lourdingue (la couronne en carton pâte, les aigles et les colombes, le rayon de soleil en origami...), un éclairage des plus sombres... non, décidément, il eût mieux valu se contenter d’une version de concert.
Le problème, c’est que dans la fosse, le travail de William Christie n’est pas non plus une réussite. Il semble comme obsédé par un respect metronomique des rythmes, négligeant quasi totalement d’utiliser la superbe palette de couleurs des Arts Florissants, dont il met l’enthousiasme et la verve sous l’éteignoir. Le résultat est un flux pâteux, terne à l’image de ces dégradés de gris que nous impose la scène. Bref, on s’ennuie fort et, même si ce choix d’interprétation était délibéré -ce dont je doute un peu- on s’attriste aussi quelque peu de cette prestation de celui qui est encore un des plus fins connaisseurs et interprètes de cette musique.
La distribution est en revanche un peu plus intéressante. Valer Sabadus est un ange aux beaux aigus mais dont le medium devient étriqué et acide. Le Zebul de Philippe Sly était ce soir là affecté de problèmes d’émission, particulièrement perceptibles et gênants au Ier acte ; dommage car la voix est belle et le timbre clair.
En Hamor, Tim Mead confirme l’excellente impression que nous avions (Compte rendu de concert ici) : la voix est impeccablement projetée et peut se targuer d’un beau volume sonore, les vocalises sont conduites avec style et expressivité et il est extrêmement présent, totalement au service d’un personnage anéanti par son destin impitoyable. En Iphis, Katherine Watson semble en revanche en difficulté pour entrer dans son personnage aux deux premiers actes, faisant d’Iphis une oie blanche sans intérêt. Mais elle incarne parfaitement le soulagement et la redemption de son personnage au troisième acte dans lequel je l’ai trouvé touchante.
Marie-Nicole Lemieux est excellente et brûle littéralement les planches. Grandiloquente quand elle exprime la douleur de la mère, tordue de désespoir et agitée de spasmes quand elle est tourmentée par ses visions, elle met tout son art au service de son personnage. Le Jephtha de Ian Bostridge est un beau contrepoint à l’art de la déclamation de Marie-Nicole Lemieux. Tout en raucité, il malmène son timbre, pourtant beau et pur, pour composer un détestable Jephtha, seul moment de grâce consenti par cette interprétation, « Waft her, angels », est totalement extatique et d’une remarquable précision.
Comme il se doit dans un oratorio, les parties réservées au choeur sont importantes et, comme souvent chez Haendel, d’une immense beauté. Cette partition est excellemment défendue par le Choeur des Arts Florissants dont la prestation ce soir mérite tous les superlatifs. D’une précision quasi-surnaturelle que rien ne semble pouvoir ébranler, son homogénéité est une pure merveille sur laquelle William Christie, enfin impliqué, veille avec soin.
Programme et distribution :
Jephtha
Oratorio en trois actes de Georg Friedrich Haendel
Livret de Thomas Morell, en anglais
Créé à Covent Garden le 26 février 1752
Direction musicale : William Christie
Chœur et Orchestre des Arts Florissants
Mise en scène : Claus Guth
Décors et costumes : Katrin Lea Tag
Lumières : Bernd Purkrabek
Vidéo : Arian Andiel
Chorégraphie : Sommer Ulrickson
Dramaturgie : Yvonne Gebauer
Jephtha : Ian Bostridge
Storgè : Marie-Nicole Lemieux
Iphis : Katherine Watson
Hamor :Tim Mead
Zebul : Philippe Sly
L’Ange : Valer Sabadus