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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


4 octobre 2018 - Les Huguenots ( Meyerbeer) à l’Opera national de Paris ( Bastille).

Publié par Jean Luc sur 7 Octobre 2018, 18:16pm

Catégories : #Opera mis en scene

L’opéra Les Huguenots est généralement considéré comme l’exemple même du « grand opéra à la française ». Deuxième œuvre écrite par Meyerbeer pour l’opéra de Paris ( après Robert le Diable), il s’inscrit dans ce mouvement de romantisme sombre, se référant largement au Moyen Âge et à la Renaissance (cf par exemple les romans de Walter Scott qui vient alors de mourir). Le succès de cette œuvre sera colossal, enregistrant pas moins de 1000 représentations  jusqu’en 1903, avant de disparaître progressivement du répertoire de l’Opera de Paris où la dernière représentation, avant cette reprise, eut lieu en 1936. Ce 4 octobre 2018 voyait la 1121ème représentation.

 

Cette œuvre au succès colossal, qui inspira Verdi et Wagner et dont des scènes ont été interprétées lors de l’inauguration de l’Opera Garnier, signe un style. C’est peut être là une des explications de sa quasi disparition au XXème siècle, le chemin pouvant être court entre l’archétype et l’ennuyeux poncif. La mode du grand opéra à la française était donc certes passée, mais il faut bien reconnaître que Meyerbeer n’a pas fait grand chose pour simplifier la tâche des théâtres et des spectateurs des siècles suivants : un monument de plus de 4 heures de musique, une scénographie qui doit s’attaquer à des châteaux, des jardins, des duels, inclure un ballet et surtout « traiter » l’un des plus grands traumatismes de l’histoire de France : le massacre de la St Barthelemy. Ajoutez à cela une distribution quasi-impossible à réunir : qu’on en juge à la création, ce sont les plus grands noms qui sont présents des sopranos Dorus-Gras et Falcon au ténor Nourrit en passant par la basse Levasseur. D’ailleurs lors des représentations à New York à la fin du XIXème siècle, les américains parlaient de « nuit des 7 étoiles ».

 

Que dire alors de cette reprise exceptionnelle ? Tout d’abord, il faut rendre justice à un ouvrage de qualité, multipliant les belles pages musicales, déroulant efficacement une intrigue complexe qui passe de la légèreté des deux premiers actes à la tragédie du cinquième sans accroc et selon un rythme implacable. Cette immense fresque historique mettant en scène le massacre de la Saint-Barthélémy n’est pas qu’un grand spectacle. On sent poindre dans le travail de Meyerbeer un propos très politique sur l'absurdité des guerres de religion, sur les dangers du dogmatisme religieux, sur la manipulation des masses par quelques uns (Saint Bris et Marcel) et l’impossibilité de détourner le cours inéluctable de ces passions politiques et religieuses, même au prix de sa vie (Nevers).

 

À l’évidence, l’intérêt de ce propos politique ni son actualité n’ont effleuré Andreas Kriegenburg qui se borne à nous placer dans un futur incompréhensible (2063 ????) et à exploiter du joli décor et du beau costume coloré (Tanja Hofmann) le tout intelligemment mis en lumière par Andreas Grüter. La pertinence narrative est mise à mal (on ne comprend pas vraiment la colère de Raoul envers Valentine, ni les relations de celle-ci avec son père, etc.) et franchement les moyens de Bastille permettent une St Barthelemy un peu plus convaincante que quelques lentes, itératives et fugaces images de sicaires poursuivant des femmes en chemise de nuit et cheveux dénoués... Bref, la mise en scène n’est gênante à aucun moment mais l’indifférence qu’elle porte à la puissance intrinsèque de l’ouvrage de Meyerbeer est un peu consternante. Je souligne néanmoins la belle réussite que constitue l’acte II, figurant de façon poétique les forêts et les rivières de Chenonceaux dans un climat assez orientaliste.

 

Michele Mariotti tente avec pas mal de succès de souligner la filiation de Meyerbeer et de Rossini et de restituer alternativement la violence et la légèreté de l’œuvre. Même si le Ier acte était un peu brouillon, l’ensemble de son travail est convaincant et maîtrisé.

 

Avant de parler des chanteurs, on se souviendra que Diana Damrau et Bryan Hymel ont déclaré forfait pour cette production, le second très tardivement. D’une façon globale et générale, il faut souligner la qualité de la diction française et le sens du style « grand opera » chez presque tous les interprètes.

 

Lisette Oropesa est une Marguerite exceptionnelle, qui sera ovationnée aux saluts. Elle ne fait qu’une bouchée du rôle à multiples facettes de Marguerite de Valois, virtuose ébouriffante ne reculant devant aucune ornementation, elle propose un exceptionnel « Ô beau pays de la Touraine » dès le début du II, souligne presque immédiatement la légèreté de « Ah si j’étais coquette ». On pourra regretter qu’elle peine davantage à incarner la souveraine en colère et impuissante mais quelle technique ! Le timbre est pur, le vibrato parfaitement maitrisé, les vocalises sont d’une précision diabolique, les pianissimi enchanteurs et le messa di voce souverain. 

 

Malheureusement le second « remplaçant » ne relève pas le gant de la même manière.  Le Raoul de Yosep Kang frôle la catastrophe à plusieurs reprises et met nos nerfs (et parfois nos oreilles) à rude épreuve. Certes, il fallait du courage pour accepter à quelques jours de la première d’affronter un rôle d’une telle difficulté. Yosep Kang est à la peine dès son entrée et si le timbre est souvent intéressant et chaleureux, les aigus ratés ou criés et les nombreuses erreurs techniques semblent témoigner d’une technique un peu trop rudimentaire : le chant est raide, souvent dur, le legato est flageolant et les problèmes de justesse trop fréquents. Le duo avec Valentine au IV est consternant, ses difficultés l’obligeant à se concentrer sur la technique au détriment de la caractérisation de son personnage, au point que l’on finit par se demander ce que Valentine peut bien lui trouver.  Espérons que l’effort exigé de lui ne mette pas trop à mal une voix qui recèle pourtant quelques promesses. 

 

Ermonela Jaho est, à son habitude, incandescente. Mais force est de rappeler qu’elle n’a pas la voix du rôle. Ce n’est pas un falcon mais un soprano lyrique et elle est à la peine dans les nombreux graves de Valentine qui mobilisent ses ressources au détriment d’un grave qu’on sent parfois en danger et au risque d’une instabilité un peu inquiétante de la voix.

 

Le Marcel de Nicolas Testé est tout aussi remarquable et sera justement salué au rideau final. Le rôle est essentiel à l’intrigue et Testé le magnifie avec un legato superbe, un aigu projeté en douceur et de très beaux graves. Sachant passer de la rigidité fanatique à l’émouvant attachement à Raoul qui caractérisent ce personnage tout en préservant une remarquable homogénéité sur tout le registre, chacune de ses interventions est une réussite et s’avère centrale dans la représentation.

 

Karine Deshayes est également parfaitement à son affaire dans le rôle du page Urbain. L’impeccable technique rossinienne et la remarquable projection servent parfaitement l’interprétation très virtuose et irréprochable. Le timbre chaud et velouté compose un Urbain coquin et attachant. Quelle idée de couper le rondo du II, de la priver de l’un des « must » de la partition dans lequel elle eut fait merveille !

 

Timbre brillant, vocalise facile, Florian Sempey est un Nevers qui assume l’ambiguïté et l’évolution du personnage. La ligne vocale est d’une très grande éloquence et l’acteur est très présent mais il semble parfois comme à l’étroit, comme gêné par une mise en scène qui néglige son personnage.

 

Paul Gay incarne un Saint Bris manipulateur et fanatique. Lui aussi est porté par une partition qu’il domine et un chant qu’il exalte. Même la clarté du timbre est exploitée pour en faire un vrai méchant. Lui aussi est négligé par la direction d’acteurs qui peine à fixer la juste distance dans sa relation à sa fille, Valentine.

 

Les « petits » rôles sont tous servis avec conviction et talent. J’ai particulièrement relevé le timbre clair et héroïque de Cyrille Dubois, la performance de Patrick Bolleire qui passe sans broncher et avec le même brio du moqueur Thoré à l’effroyable Maurevert, l’élégance de timbre et la finesse d’interprétation de Tomislav Lavoie en Retz et l’archer convaincant d’Olivier Ayrault. Mais il serait injuste de ne pas saluer aussi les belles prestations de François Rougier (Cossé), Michal Partyka (Méru), de Elodie Hache, de Julie Robard-Gendre ou de Philippe Do.

 

Le chœur de l’Opera est remarquable de bout en bout, acteur majeur de la soirée, si l’on veut bien oublier le côté un peu brouillon du Ier acte, dû d’ailleurs pour l’essentiel à la fosse. Puissant et précis, il fait face avec brio aux difficultés de la partition, notamment au III. 

 

Malgré ses imperfections, cette production met toutefois parfaitement en valeur la qualité musicale et le sens dramatique de Meyerbeer. La partition est d’une force incroyable, d’une grande énergie. C’est probablement là que se trouve la clé du succès que le public a réservé aux acteurs de cette soirée. Et peut être aussi le sentiment que l’immensité de cette œuvre, ses difficultés et ses exigences ne nous donneront pas l’occasion de la voir à la scène aussi souvent qu’on pourrait le souhaiter

 

 

Programme et distribution : 

 

Giacomo Meyerbeer (1791-1864)

Les Huguenots

Opéra en cinq actes

Livret en français d’Eugène Scribe et Emile Deschamps

Créé à l’Opera de Paris, salle Le Peletier, le 29 février 1836

 

Marguerite de Valois : Lisette Oropesa

Raoul de Nangis : Yosep Kang

Valentine : Ermonela Jaho

Marcel : Nicolas Testé

Urbain : Karine Deshayes

Le comte de Nevers : Florian Sempey 

Le comte de Saint-Bris : Paul Gay

Tavannes et Premier moine : Cyrille Dubois

Coryphée, une jeune fille catholique, une bohémienne : Élodie Hache

Dame d'honneur, une jeune fille catholique, une bohémienne : Julie Robard‑Gendre

Cossé, un étudiant catholique : François Rougier

Méru et deuxième moine : Michal Partyka

Thoré et Maurevert : Patrick Bolleire

Retz et troisième moine : Tomislav Lavoie

 

Bois-Rosé et valet : Philippe Do

Un archer du guet : Olivier Ayault

Quatre seigneurs : John Bernard, Cyrille Lovighi, Bernard Arrieta et Fabio Bellenghi

 

Mise en scène : Andreas Kriegenburg

 

7 : Harald B. Thor

Costumes : Tanja Hofmann

Lumières : Andreas Grüter

 

Choeur et orchestre de l'Opéra National de Paris

Direction musicale : Michele Mariotti

 

Crédit photographique © Agathe Poupeney

 
4 octobre 2018 - Les Huguenots ( Meyerbeer) à l’Opera national de Paris ( Bastille).
4 octobre 2018 - Les Huguenots ( Meyerbeer) à l’Opera national de Paris ( Bastille).
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