Dans ses Souvenirs, Adolphe Adam rapporterait avoir choisi, pour la création, le jeudi 13 octobre pour que cela porte bonheur à l’œuvre, et que le succès dépassa son attente. De fait, cet opéra comique rencontra un succès durable au XIXeme siècle au cours duquel il fut joué plus de 550 fois à l’Opera Comique entre 1836 et 1894. Puis l’oubli, quasi total en France, jusqu’à cette coproduction de l’Opera Comique et de l’Opera de Rouen Normandie.
L’œuvre est un pur divertissement, sans prétention, qui privilégie la légèreté et un théâtre primesautier. Charmant mais un peu fade et le plaisir ne peut tenir qu’à une distribution exceptionnelle et à une mise en scène parfaitement maîtrisée, d’autant que les rôles sont émaillés de tours de force destinés à faire briller les interprètes et à entretenir l’entrain. Et le plus célèbre de ces tours de force, c’est le contre-ré qui couronne le 1er air du ténor, note qui, au cœur de l’intrigue, décide de la carrière du postillon à l’Opera. Il faut donc un gosier virtuose pour tenir le rôle.
Spécialiste des contre-notes spectaculaires, Michael Spyres s’imposait naturellement dans ce rôle. Il prend le rôle à bras le corps, caractérise un personnage léger, cupide et un peu veule, dans un français impeccable à la diction remarquable. Au plan vocal, la technique du chanteur et les dons naturels de sa voix permettent de surmonter avec panache une légère méforme qui est perceptible au début de l’œuvre. Mais les contre-notes sont bien là, des variations et des sauts sont ajoutées comme pour narguer la fatigue, et, si la ligne est parfois hésitante, l’exploitation du gigantesque ambitus est impressionnante. C’est à une véritable démonstration technique et musicale que nous convie un Michael Spyres déchaîné et il suffirait à lui seul à assurer le succès du spectacle. Performance qui lui vaudra une ovation aux saluts.
Sa partenaire Florie Valiquette est également très convaincante. Sa Madeleine fraîche mais madrée et sa Madame de Latour vindicative et manipulatrice sont fort bien campées et différenciées. La voix est belle, le timbre remarquablement frais. Si la puissance lui manque un peu au 1er acte, ceci disparaît complètement ensuite et elle offre elle aussi un festival de vocalises et d’aigus superbement conduits. Une belle découverte.
Franck Leguérinel est un superbe Corcy. Très présent sur scène, il brûle littéralement les planches : drôle, précieux, il s’appuie sur un beau phrasé qui corse les dialogues parlés et leur donne beaucoup de relief. Acteur autant que chanteur, Laurent Kubla nous sert un savoureux Biju caricaturé en factotum mal à l’aise dans son rôle de chanteur. Julien Clément est un Bourdon à la belle voix, bien projetée. Enfin, Michel Fau donne dans le travestissement avec des mimiques et un ballet réjouissants.
Le chœur quoique bien équilibré et s’inscrivant bien dans l’esthétique voulue par la direction musicale, m’a semblé parfois un peu imprécis. L’orchestre de l’Opera de Rouen sert efficacement la volonté militante de son chef, Sébastien Rouland, de défendre ce répertoire. Le résultat est assez réussi avec une ouverture bien maîtrisée en dépit de ses difficultés et un prélude très agréable du IIIeme acte.
La mise en scène de Michel Fau procède du kitsch assumé : décors en carton pâte, couleurs franches pour ne pas dire criardes, dispositifs scéniques simplistes et à l’ancienne. Les éclairages sont soignés et les costumes de C. Lacroix superbes. Tout ceci concourt à une ambiance réussie et efficace, à un burlesque distancié juste ce qu’il faut.
Le public s’est montré très enthousiaste. Je suis toutefois ressorti avec le sentiment d’avoir certes passé un très agréable moment mais que ce sentiment risquait d’être assez vite oublié.
Programme et distribution :
Adolphe Adam (1803-1856)
Le Postillon de Lonjumeau
Opéra-comique en 3 actes
Livret en français d’Adolphe de Leuven et Léon-Lévy Brunswick
Créé à l'Opéra Comique (salle de La Bourse) le 13 octobre1836
Chapelou / Saint-Phar : Michael Spyres
Madeleine / Madame de Latour : Florie Valiquette
Le marquis de Corcy : Franck Leguérinel
Biju / Alcindor : Laurent Kubla
Rose : Michel Fau
Louis XV : Yannis Ezziadi
Bourdon : Julien Clément
Mise en scène : Michel Fau
Décors : Emmanuel Charles
Costumes : Christian Lacroix
Lumières : Joël Fabing
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Direction musicale : Sébastien Rouland
Crédits photographiques : © Stefan Brion