4 octobre 2019 – La Traviata (Verdi) à Garnier
Pour quelques éléments de contexte sur cette œuvre emblématique de Verdi, je vous renvoie à mes écrits précédents (voir ici).
Simon Stone revisite cet archétype du drame bourgeois du XIXème siècle, en situant l’action de nos jours et en faisant de Violetta une égérie médiatique, mi-mannequin mi-influenceuse de réseaux sociaux. Elle passe du temps à consulter ses comptes sur réseaux sociaux et ses messages, projetés sur grand écran sur les murs de scène posés sur tournette qui servent de décor. Passé l’effet de surprise du 1er acte, le procédé s’essouffle assez vite et le sens est gâché par les grincements de la tournette dont on se dit qu’on aurait pu les dissimuler… Surtout, cette abondance d’images et d’informations visuelles distraient le spectateur à l’excès et finit par nuire à l’œuvre, en particulier dans la scène entre Germont et Violetta de laquelle ne ressort, en dépit du talent des deux interprètes que bien peu d’émotion, alors même qu’il s’agit de l’un des sommets dramatiques de l’ouvrage. La scène de la fête du deuxième acte est ratée, fête libertine terriblement cheap (en décalage avec le personnage de Violetta campé jusqu’ici) et passablement vulgaire. Bref, ne surnage de cette mise en scène ratée à force d’effets inutiles et surabondants, qu’une intention inaboutie et la scène du III où Violetta voit défiler les photos postées sur instagram de son bonheur passé et qui est très émouvante.
La direction de Michele Mariotti s’attache aux nuances et, dans cette production qui reprend plus fidèlement que souvent la partition (et notamment le 2ème couplet d’ « Addio » et les cabalettes d’Alfredo et de Germont), donne à entendre des choses que l’on n’entend généralement pas. Les tempi sont choisis avec soin, les effets sont parfois osés et permettent de varier la coloration des différentes scènes. Seul l’acte I manque de vivacité et semble un peu pesant. A leur habitude, les chœurs font une très belle prestation.
Les seconds rôles sont irréprochables : beau Douphol inquiétant de Christian Helmer, élégant et amical Gastone de Julien Dran, amusant d’Obigny jovial de Marc Labonnette, digne et sévère Grenvil de Thomas Dear. Annina est interprété par une Marion Lebègue en grande forme pendant que Catherine Trottmann donne à voir un personnage de Flora plus dense que souvent. L’homogénéité de ces prestations de grande qualité permet de donner beaucoup de cohérence à la représentation..
Annoncé souffrant, Ludovic Tézier est pourtant magistral en Germont. Si sa force d’émotion est étouffée dans sa grande scène avec Violetta au II, il dispense ensuite un « Di provenza il mar » d’anthologie, véritable leçon de projection et de legato qui lui vaudra une ovation.
Benjamin Bernheim est un bien bel Alfredo. L’écriture correspond à l’évidence à ses moyens vocaux, la voix est ample et sonore, le timbre est séduisant, l’aigu aisé et tout en délicatesse (même s’il esquive l’ut qui couronne la cabalette de « Oh mio rimorso » ). L’interprétation du personnage est souveraine, pleine d’émotion et de fougue juvénile ; il donne corps à un Alfredo séduisant et irrésistible, donnant toute sa crédibilité au sacrifice de Violetta.
Pretty Yende réussit sa prise de rôle de ce redoutable personnage. Longuement ovationnée- et à juste titre- à la fin du spectacle, elle nous avait pourtant un peu inquiété au I, dans lequel elle semblait mal à l’aise, en proie à quelques difficultés d’émission et à des aigus un peu tendus. Très vite au II, elle reprend le dessus et la séduction de son timbre, les qualités de souplesse et d’incarnation de cette voix très homogène sur toute sa tessiture font le reste. C’est avec un « Dite alla giovine » presque chuchoté et bouleversant et un « Amami Alfredo » dramatique juste ce qu’il faut, sans excès, qu’elle nous conduit à son rythme vers les sommets du III et un finale très convaincant.
Programme et distribution :