Œuvre fondatrice de l’opera allemand, Der Freischütz connut le succès dès sa création et fut rapidement joué sur les principales scènes européennes. En rupture avec l’opéra italien, l’ouvrage revendique sa filiation populaire avec le Singspiel, tout en reprenant quelques recettes du grand spectacle à la française. La partition est particulièrement complexe et élaborée, jouant sur les couleurs orchestrales et usant sans complexe du motif récurrent. Le livret quant à lui s’inscrit dans une tradition populaire et fantastique, assez noire somme toute.
La mise en scène de Clément Debailleul et de Raphaël Navarro (Compagnie 14:20 mise en scène) exploite cette dimension fantastique avec une surabondance d’images dans une scène emplie d’obscurité, dépourvue de décors et aux personnages uniformément vêtus de gris. Le diable Samiel est interprété par le danseur Clément Dazin qui souligne la dimension fantastique et irréelle par une danse aux mouvements très évocateurs. Dans un premier temps, ce travail est assez fascinant, et on se sent émerveillé. Mais cette belle idée de départ, centrée sur le diabolique Samiel, finit par crouler sous l’excès de technologie et d’images, écrasant la musique et le chant, et ce d’autant que la direction d’acteurs et le travail de caractérisation des personnages sont plus que faibles, pour ne pas dire inexistants.
Cette mise en scène trop présente, envahissante n’est malheureusement pas contrebalancée par la direction de Laurence Equilbey. Le choix d’instruments anciens donne un côté un peu baroque à l’œuvre, sensation confirmée par des cuivres qui peinent un peu trop à sonner juste, mais qui semble en total décalage esthétique avec un son tumultueux, très romantique. Si Insula livre de très belles sonorités, son expression est limitée par une Laurence Equilbey à la gestique étriquée et métronomique, qui ne parvient pas toujours à équilibrer les masses et à éviter les décalages, notamment avec le chœur.
Heureusement, les voix sont beaucoup plus enthousiasmantes. A commencer par un Stanislas de Barbeyrac en grande forme. En pleine possession de tous ses moyens vocaux, assombrissant son timbre, il exprime l’inquiétude un rien désinvolte ou résignée de Max. Johanni van Oostrum interprète une Agathe tout en naïveté et en douceur, formidable contrepoint aux manipulations diaboliques. Le timbre est rond, le phrasé délicat et les aigus ciselés. La virtuosité de Chiara Skerath trouve à s’épanouir parfaitement en Ännchen, dont elle parvient à surmonter toutes les difficultés, notamment dans le haut de la tessiture. Timbre sombre, Vladimir Baykov est un Kaspar très convaincant dans l’interprétation d’un personnage victime de ses appétits diaboliques, même si le souci de la sonorité tend à l’emporter sur la précision, notamment celle des attaques. Le Kuno de Thorsten Grümbel est assez impressionnant dans le bas de la tessiture, de même que Christian Immler apporte à l’Ermite son timbre clair et que Anas Seguin fait preuve d’une belle énergie moqueuse. J’ai été moins convaincu par Daniel Schmutzhard dont le baryton peine un peu en Ottokar. Très belle performance de Clément Dazin dont le Samiel est à la fois contemporain, inquiétant et poétique.
Au final, une soirée que les interprètes, malgré leur talent et leur engagement n’ont pas réussi à faire échapper à un certain ennui.
Programme et distribution :
Der Freischütz
Carl Maria von Weber (1786-1826)
Opera romantique en 3 actes
Livret en allemand de Johann Friedrich Kind
Créé à Berlin (Königliches Schauspielhaus) le 18 juin 1821
Max : Stanislas de Barbeyrac
Agathe : Johanni Van Oostrum
Ännchen : Chiara Skerath
Kaspar : Vladimir Baykov
L’Ermite : Christian Immler
Kuno : Thorsten Grümbel
Ottokar : Daniel Schmutzhard
Kilian : Anas Séguin
Samiel : Clément Dazin
Mise en scène : Clément Debailleul et Raphaël Navarro (Cie 14:20)
Dramaturgie : Valentine Losseau (Cie 14:20)
Coordination artistique, scénographie et vidéo : Clément Debailleul
Chorégraphie : Aragorn Boulanger
Costumes : Siegrid Petit-Imbert
Lumières : Elsa Revol
Direction musicale : Laurence Equilbey
Insula orchestra
Choeur Accentus
Crédits photographiques : © Vincent Pontet