On a déjà beaucoup glosé sur le conformisme de la mise en scène de James Gray. Certes, elle ne s’abandonne à aucune transposition temporelle et se situe sagement dans le 18ème siècle de la création de l’ouvrage. Sage, donc, voire très sage, mais on doit souligner les superbes décors de SantonLoquasto, les très belles lumières de Bertrand Couderc et les somptueux costumes de Christian Lacroix. Les Noces de Figaro sont « officiellement » de style buffa mais elles sont aussi une transposition dans le théâtre lyrique du manifeste social et féministe de Beaumarchais. Et c’est tout le mérite de cette mise en scène et de cette direction d’acteurs millimétrée que de souligner, de donner à voir, les nombreuses allusions de Mozart et Da Ponte à la domination prédatrice des aristocrates, à la rébellion en germe des modestes, à l’agacement des femmes. De ce point de vue, s’appuyant sur des interprètes convaincus et engagés, ce spectacle est une réussite.
Grande réussite dans la fosse aussi. La direction de Jérémie Rhorer est très dynamique, impeccablement équilibrée et très attentive à sa cohérence avec la mise en scène. Ce dépoussiérage de l’interprétation de cette partition complexe est portée avec vivacité et enthousiasme par un Cercle de l’Harmonie somptueux sur instruments anciens. Au pianoforte, Paolo Zenzu anime avec talent les scènes d’exposition.
Le Figaro de Robert Gleadow est parfait au plan vocal, très attentif à son texte et, comme toujours, totalement engagé physiquement. D’une remarquable présence tout au long de ses apparitions, il déploie de façon particulièrement séduisante son baryton basse au timbre chatoyant et à la technique irréprochable tout en soignant ses récitatifs. Anna Aglatova est une Susanna idéale et une parfaite partenaire. Elle incarne une Susanna changeante, mutine et amoureuse avec le même succès dans ces différentes facettes de son personnage. La voix est très belle et la technique, la musicalité et la précision impressionnantes.
Face à eux, le couple des maîtres est tout aussi remarquable. Vannina Santoni est bouleversante d’émotion dans ses deux grands airs et déploie un chant d’une légèreté éthérée. Stéphane Degout est à son aise dans ce rôle qui lui permet de faire briller les qualités de son timbre et de son chant. Son incarnation est prenante, son charisme indéniable. On retiendra en particulier son élégance et sa technique dans le dangereux air du III et des pianis impressionants.
Tous les seconds rôles sont remarquables. Le Chérubin d’Eleonore Pancrazi est peut être un peu trop raisonnable mais le timbre de mezzo est d’une grande beauté. Jennifer Larmore est une Marcelline touchante, même si la voix est désormais hélas abîmée. Son comparse Carlo Lepore (Bartolo) est veule à souhait. Florie Valiquette est une Barberine de luxe, dont l’air de la spina est parfaitement maîtrisé et d’une grande beauté. Mathias Vidal est également un luxe dans son Basilio d’une méchanceté lache et drolatique.
Au delà de tous ces talents et ces performances individuelles, ce qui était frappant était la qualité permanente des duos et des ensembles, chacun s’y engageant à fond et dans le plus grand respect de ses partenaires de scène. Une soirée quasi inoubliable servie par de très grands artistes.
Programme et distribution :
Le Nozze di Figaro
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Opera buffa en quatre actes
Livret en italin de Lorenzo da Ponte d’après la pièce de Beaumarchais
Créé au Burgtheater de Vienne le 1er mai 1786.
Mise en scène : James Gray
Scénographie : Santo Loquasto
Chorégraphie : Glysleïn Lefever
Costumes : Christian Lacroix
Lumière : Bertrand Couderc
Figaro : Robert Gleadow
Susanna : Anna Aglatova
Le Comte Almaviva : Stéphane Degout
La Comtesse Almaviva : Vannina Santoni
Chérubin : Eléonore Pancrazi
Bartolo : Carlo Lepore
Marceline : Jennifer Larmore
Barberine : Florie Valiquette
Basilio : Mathias Vidal
Antonio : Matthieu Lécroart
Curzio : Rodolphe Briand
Le Cercle de l’Harmonie
Unikanti
Direction musicale : Jérémie Rhorer
Crédits photographiques : (c)Vincent Pontet