Composé en deux mois, l’opéra La Sonnambula est un des trois grands chefs-d’œuvre de Bellini. L’œuvre est créée au Teatro Carcano de Milan le 6 mars 1831, sous la direction de Bellini avec Giuditta Pasta en Amina et Giovanni Rubini en Elvino. Son grand succès à sa création lui vaut une carrière internationale rapide et elle n’a de fait pas quitté le répertoire depuis, incarnant un des sommets de l’opéra romantique italien. La plupart des plus grands sopranos et des plus grands ténors s’y sont produits tout au long des XIXème et XXème siècles.
Dans le contexte de reprise des théâtres, cette production était très attendue et comportait de nombreuses promesses avec Villazon à la mise en scène, Frizza à la baguette, Demuro et Yende.
Rolando Villazon a été un très grand ténor et j’ai beaucoup admiré ses prestations. Pour la première de ses mises en scène à laquelle il m’était donné d’assister, je dois avouer mon immense déception. C’est visuellement au mieux dépourvu d’imagination, au pire laid et, en tout cas, donne une pesante impression de déjà vu avec ses couleurs blanc-noir-brun et ses éclairages affreusement crus et banals. De cette déception ne surnage qu’une direction d’acteurs très travaillée qui caractérise en profondeur les personnages mais qui ne traite absolument pas les chœurs, statiques et livrés à eux même. Cédant à tous les tics des metteurs en scène contemporains jusqu’à la caricature, Villazon ne respecte ni le livret ni les intentions d’origine du compositeur, ce qui, pour un musicien chevronné est assez affligeant de mon point de vue et qui oblige le spectateur à assumer des incohérences flagrantes et répétées de l’action. Passe encore que l’action se déroule dans des hauts sommets alpins dans lesquels on voit mal un moulin et une ferme ; passe aussi qu’Amina s’endorme dans la salle commune de l’auberge plutôt que dans la chambre du Comte, ce qui donne lieu à des astuces lourdaudes pour recaler l’action (le manteau, le briquet) ; passe aussi que la scène de somnambulisme se déroule sur un monumental praticable de glace sur lequel Amina est immobile, rendant ainsi peu crédible le danger de chute que craignent les autres protagonistes… etc. Mais, en revanche, le mariage d’Elvino et de Lisa en lieu et place de celui d’Elvino et Amina que proclame les chœurs et la musique est dénué de tout intérêt et, pire, il détourne l’attention du spectateur de la performance vocale de Pretty Yende dans son finale. Probablement à cause de cet incompréhensible finale, Villazon est accueilli par des huées aux saluts, huées qu’il semble encourager avec un rien d’arrogance…
Heureusement, ces défauts ne se retrouvent pas dans la direction musicale, qui a fait le choix d’une version intégrale et donc dépourvue des habituelles coupures. La direction de Riccardo Frizza équilibre parfaitement les pupitres, disposés de manière inhabituelle (les vents sont dans le dos du chef et l’orchestre est au parterre et non dans la fosse) et obtient de l’Orchestre de chambre de Paris, excellent ce soir, des moments d’une grande intensité, notamment avec les cors. L’émotion romantique de la partition est parfaitement servie par sa direction qui témoigne d’un grand sens du théâtre et d’un grand respect des chanteurs qu’il accompagne avec attention. Bien que masqué (!) le Chœur de Radio France est d’une grande homogénéité et d’une belle précision.
Marc Scoffoni est un bon Alessio, amoureux transi, naïf et un peu benêt dont il souligne le côté conventionnel voire rétrograde. Annunziata Vestri est impeccable en Teresa, pliant un timbre superbe et de vrais moyens à ce rôle de mère aimante qui sort peu à peu de sa réserve pour défendre sa fille. Sandra Hamaoui est une excellente technicienne qui maîtrise les vocalises et les ornementations qui parsèment son rôle. Bonne actrice, elle déploie une duplicité un rien vénéneuse (ce qui complique encore la compréhension du final voulu par Villazon, mais n’y revenons pas.). La voix est très bien projetée et le timbre est clair quoique, et ce sera la seule limite, un peu banal. Alexander Tsymbalyuk est un excellent Rodolfo : la voix est ample, profonde, parfaitement conduite dans ce répertoire qui n’est habituellement pas le sien.
Francesco Demuro a les moyens du rôle d’Elvino. Physiquement crédible, il maîtrise parfaitement la technique du bel canto avec sa voix bien projetée, son legato impeccable, ses aigus insolents et son timbre solaire. Il est un Elvino attendrissant et agaçant à la fois mais compose avec Pretty Yende un couple idéal et sensuel. Leur duo est une merveille d’équilbre, de sensualité et d’émotion dans laquelle les deux interprètes jouent à égalité.
Enfin Pretty Yende. Dès son air d’entrée, elle enrôle le spectateur dans sa composition. Le timbre très légèrement corsé sert à merveille sa caractérisation du personnage, jeune fille naïve et enjouée au 1er acte qui sombre peu à peu dans la dépression au II avant de renaître au final. C’est précisément dans le final qu’elle elle est absolument spectaculaire. L’air est interprété avec une grande sensibilité et suivi d’une cabalette (doublée) dans laquelle elle fait preuve d’une virtuosité sans faille, décochant des vocalises vertigineuses, allant jusqu’à ce qui m’a semblé être un contre fa, et des ornementations assez inédites et toujours d’un goût assuré. Assurément la meilleure interprète actuelle du rôle.
Programme et distribution :
Vincenzo Bellini (1801 – 1835)
La Sonnambula
opéra semiseria en deux actes
Livret en italien de Felice Romani.
Créé à Milan (Teatro Carcano) le 6 mars 1831
Mise en scène : Rolando Villazón
Chorégraphie : Philippe Giraudeau
Costumes : Brigitte Reifenstuel
Lumières : Davy Cunningham
Amina : Pretty Yende
Elvino : Francesco Demuro
Rodolfo : Alexander Tsymbalyuk
Teresa : Annunziata Vestri
Lisa : Sandra Hamaoui
Alessio : Marc Scoffoni
Un notaire : Jeremy Palumbo
Orchestre de chambre de Paris
Chœur de Radio France et Maîtrise des Hauts-de-Seine
Chef de chœur : Sylvie Leroy
Direction musicale : Riccardo Frizza
Crédits photo : © Vincent Pontet