Ouverture de saison au TCE avec l’un des opéras les plus populaires du répertoire romantique français. Créé en 1884 à l’Opéra-comique, le livret de Manon reprend toutes les figures du genre, poussant au limite du vérisme le sentimentalisme dramatique et la description de la passion amoureuse.
Manon est une jeune étourdie (16 ans !...) qui doit être conduite au couvent par son cousin Lescaut qui l’attend à la descente du coche, dans une auberge à Amiens. Belle, elle attire la convoitise des convives. La rencontre avec le Chevalier des Grieux est l’histoire d’un coup de foudre qui conduit les deux amoureux à s’enfuir ensemble pour aller Paris. Avec des moyens limités, leur train est trop modeste pour Manon, qui trahit Des Grieux et le quitte pour le baron Brétigny. Désespéré, Des Grieux, s’apprête à rentrer dans les ordres mais Manon le dissuade in extremis et le convainc de partir avec elle. Le jeu et la prostitution sont les seuls moyens qui restent à disposition du couple mais, soupçonné d’avoir triché, Des Grieux est sauvé par l’intervention de son père tandis que Manon est condamnée à la déportation. C’est sur la route de sa déportation que Manon mourra d’épuisement dans les bras du Chevalier qui tente encore de la libérer.
L’œuvre, montée en collaboration avec l’Opéra national de Lyon, est donnée en version de concert, avec une distribution quasi intégralement francophone, dont la diction rend justice au texte du livret. L’investissement de chacun des protagonistes est très importante et permet, malgré la version de concert, à chaque personnage d’avoir toute sa dimension théâtrale.
Les trois maitresses de Guillot (Margot Genet, Amandine Ammirati et Clémence Poussin) pétillent à souhait et ponctuent avec élégance et ironie les mésaventures de leur amant fortuné. Guillot est interprété sans aucune outrance par un Eric Huchet très convaincant et très investi, dont la belle voix de ténor de caractère est parfaitement maitrisée dans toutes les facettes du rôle haut en couleurs. En Brétigny, Philippe Estèphe, dont le timbre très homogène est vraiment beau, est très à l’aise dans le haut de la tessiture. Son physique juvénile est plié sans difficulté aux exigences d’un rôle plus mature et cynique mais il semble gêné dans la projection des notes les plus graves. Nicolas Testé est un père des Grieux a la voix large qui se déploie sans peine et qui fait merveille dans un « Epouse quelque brave fille » tout empreint d’amour paternel et de bienveillance.
Jean-Sébastien Bou est tout simplement parfait en Lescaut dont il traduit les différentes émotions avec un égal bonheur, passant avec aisance de la désinvolture au cynisme puis à la recherche de la rédemption. On savait la qualité de cette voix et de cet interprète mais sa prestation en Lescaut est particulièrement réussie.
Saimir Pirgu est moins convaincant en des Grieux. Sa diction est loin d’être irréprochable et dans une distribution francophone, ce défaut est accentué par la comparaison avec les autres interprètes. Le timbre est séduisant et coloré et le chanteur est capable de demi-teintes particulièrement émouvantes dans "En fermant les yeux", chanté en registre mixte avec beaucoup de maitrise. Mais dans ses autres airs, le recours à des aigus chantés forte-fortissimo dénature sa prestation qui penche par ailleurs trop vers un vérisme hors de propos.
Enfin Vannina Santoni est une interprète particulièrement convaincante en Manon, rôle dont elle possède les moyens. Dès son air d’entrée, elle est touchante et elle accompagne son personnage dans toutes ses facettes tout au long de la soirée pour atteindre une intensité bouleversante dans la mort de Manon. Son « Adieu, notre petite table », est particulièrement émouvante. Le timbre est plein, sans acidité et le vibrato s’est considérablement affermi, même si certains aigus sont parfois un peu tendus. Le style est remarquable et l’élégance du chant français est totalement assumée. L’investissement dans l’incarnation de ce personnage complexe est total et la soprano semble d’ailleurs épuisée en fin de représentation, son état de grossesse avancée rendant la performance encore plus remarquable.
Daniele Rustioni propose une lecture très nuancée de la partition, dont il met la richesse et la subtilité en valeur. Sa direction énergique donne à la musique de Massenet toute sa puissance, loin des mièvreries qu’on nous fait parfois subir dans cet opéra. L’orchestre le suit avec une délectation perceptible. Il en découle une sonorité puissante mais qui reste maitrisée et qui ne couvre jamais les chanteurs, lesquels font l’objet d’une très grande attention du maestro.
Programme et distribution :
Jules Massenet (1842-1912)
Manon
Opera-comique en cinq actes
Livret en français de Henri Meilhac et Philippe Gilles d’après le roman de l’abbé Prévost
Créé à Paris (Opéra-Comique ) le 19 janvier 1884
Manon Lescaut : Vannina Santoni
Le Chevalier des Grieux : Saimir Pirgu
Lescaut : Jean-Sébastien Bou
Guillot de Morfontaine : Eric Huchet
Monsieur de Brétigny : Philippe Estèphe
Le Comte des Grieux : Nicolas Testé
Poussette : Margot Genet
Javotte : Amandine Ammirati
Rosette : Clémence Poussin
L’hôtelier : Antoine Saint Espes
Le premier garde : Tigran Guiragosyan
Le deuxième garde :Yannick Berne
Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Lyon
Chef des chœurs : Karine Locatelli
Direction musicale : Daniele Rustioni