L’opéra créé à Venise est le fruit de l’intérêt manifesté très tôt par Verdi pour la pièce de Victor Hugo (Le Roi s’amuse) et des contorsions auxquelles le librettiste Piave et la direction du théâtre devront se livrer pour satisfaire aux exigences de la pointilleuse censure de 1850-1851. Si la critique se montre à la création un peu choquée par le sujet (le duc débauché, la scène chez Maddalena, le bossu malveillant, la « mésaventure » galante de Gilda...), le succès public est immédiat, à raison notamment des deux airs du Duc. Œuvre un peu étrange, préférant les ensembles aux airs soli, quasi totalement organisée autour du rôle-titre, Rigoletto est un chef d’œuvre de continuité dramatique dont le succès ne s’est jamais démenti depuis sa création.
Malheureusement, l’Opéra a choisi de présenter à nouveau la mise en scène boursouflée de Claus Guth qui n’apporte rien à l’œuvre en termes de lecture ou d’éclairage. Je serais d’ailleurs volontiers encore plus sévère que dans ma chronique de 2016, dans laquelle je disais : « La première mise en scène de Claus Guth à Paris était très attendue. Décor unique constitué par un carton dans lequel va se dérouler toute l’action. L’idée de départ, qui tient dans la présence d’un double de Rigoletto, clochardisé après le drame qui se déroule sur scène, et qui est présent en permanence avec son carton, dérisoire boite à souvenirs, est séduisante. Mais elle s’avère très rapidement insuffisante pour rendre compte d’une action dramatique assez complexe. Le recours aux vidéos est extrêmement banal et la multiplication des danseurs et figurants confine parfois au ridicule (notamment dans la scène de « La donna e mobile »). Bref, cette mise en scène est très insuffisante à rendre compte de la complexité des personnages et se borne à en donner des caricatures. ».
Heureusement, la direction de Giacomo Sagripanti atteint à des niveaux rares. Elle fait chatoyer cette partition si équivoque et met en évidence la beauté de la musique de Verdi, exaltant aussi bien l’émotion la plus pure qu’une violence sourdement menaçante et une compassion omniprésente pour les personnages. L’orchestre, comme le chœur sont impeccables.
Mais c’est la présence d’une distribution hors pair qui a fait de cette soirée un très grand succès. Le Sparafucile de Goderdzi Janelidze est menaçant et inquiétant à souhait, instrument projeté de Rigoletto. La voix de basse est riche et puissante, et ses débuts sont parfaitement réussis. La Maddalena de Justina Gringyté est impressionnante de cynisme mal assumé, servie par une voix ronde et chaude, aux couleurs travaillées. Dmitry Korchak est un Duc plein d’allant et très juvénile. Très engagé dans son personnage, il en fait un séducteur érotomane léger, plus inconscient, voire naïf, que vraiment pervers. Le timbre est pur et l’émission puissante. Le chanteur est sans artifice et ne triche pas avec sa partition, au prix de quelques aigus à la justesse discutable.
Nadine Sierra, verdienne accomplie, est une parfaite Gilda. Le style et la technique sont époustouflants, le timbre est superbe. Elle sert les nombreux ensembles avec justesse et de façon très équilibrée, comme par exemple dans le « Vendetta » ou tout au long de l’acte III au cours duquel elle est bouleversante.
Bien entendu, c’est Ludovic Tézier qui est le plus remarquable. La technique est souveraine, le timbre semble capable de se plier à la moindre intention de l’interprète, parfois vengeur et menaçant, parfois pitoyable, parfois simplement émouvant. Le legato est sublime et l’interprétation d’une précision diabolique.
La représentation s’est achevée en triomphe, amplement mérité.
Programme et distribution :
Giuseppe Verdi (1813-1901)
Opéra en trois actes
Livret en italien de Francesco Maria Piave d’après Victor Hugo (Le roi s’amuse)
Créé à Venise, Teatro La Fenice, le 11 mars 1851
Rigoletto : Ludovic Tézier
Gilda : Nadine Sierra
Le Duc de Mantoue : Dmitry Korchak
Sparafucile : Goderdzi Janelidze
Maddalena : Justina Gringytè
Giovanna : Cassandre Berthon
Le Comte de Monterone : Bogdan Talos
Marullo : Jean-Luc Ballestra
Matteo Borsa : Maciej Kwasnikowski
Le Comte de Ceprano : Florent Mbia
La Comtesse : Isabella Wnorowska
Le Page : Lise Nougier
Usciere di Corte : Pierpaolo Palloni
Double de Rigoletto : Henri Bernard Guizirian
Mise en scène : Claus Guth
Décors et Costumes : Christian Schmidt
Lumières : Olaf Winter
Vidéo : Andi A. Müller
Chorégraphie : Teresa Rotemberg
Dramaturgie : Konrad Kuhn
Chef des chœurs : Ching-Lien Wu
Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris
Direction musicale : Giacomo Sagripanti
Crédits photos : © Elisa Haberer / Opéra national de Paris