Enorme succès durant l’Exposition Universelle de 1867, La Vie parisienne est un monument de musique légère et enthousiasmante, exemplaire de l’idée que le Paris de la fin du Second Empire avait de lui-même et des aspirations de libération morale du public de l’époque. Très médiatisée cette production ne laisse pas d’être quelque peu décevante. La faute à une communication trop intensive qui a créé trop d’attentes de légèreté et de gaudriole dans cette période triste et inquiétante ? Le Palazetto Bru Zane en a fait des tonnes pour nous expliquer l’énorme travail musicologique réalisé pour restituer la version originelle voulue par Offenbach et ses librettistes mais qui a été amputée par la censure et les limites de la troupe du théâtre de la création. De fait, l’œuvre de redécouverte est impressionnante avec ses seize numéros en très grande partie inédits. Mais si certains airs sont particulièrement amusants (trio de l’acte III ou le numéro bouillabaisse/choucroute du II, par exemple), la restitution de l’acte IV n’apporte pas grand-chose à un livret qui reste très décousu, loin des réussites que sont La Périchole, Orphée aux Enfers ou encore La Belle Hélène. On pourrait même y trouver justification à sa disparition…
Christian Lacroix réussit une mise en scène légère et enjouée, avec une direction d’acteurs millimétrée, des mouvements de masse réglés avec un soin méticuleux. L’œil est sollicité en permanence par des multitudes de détails et on ne s’ennuie pas une seconde, emporté dans un tourbillon visuel chatoyant.
La direction de Romain Dumas est précise mais elle un peu raide et manque à mon goût de pétillant ; elle n’est parvenue qu’à de rares moments à faire décoller mon enthousiasme. Souvent peu attentif à ses chanteurs et aux équilibres fosse-plateau, le chef laisse en outre faire quelques décalages un peu fâcheux (dans l’air du Brésilien par exemple). Et c’est d’autant plus ennuyeux que la qualité de la distribution est très hétérogène. Si le trio Gabrielle-Métella-Baron est impeccable, tout en énergie et en drôlerie (nous y reviendrons), les autres voix sont en effet souvent un peu sous-calibrées et insuffisamment sonores, ce qui crée des déceptions dans des airs très connus, comme par exemple l’air du Brésilien. Mais les qualités d’acteurs et l’aisance scénique de cette distribution sont indéniables et participent grandement au succès de la représentation.
On saluera la belle prestation de Carl Ghazarossian dans le triple rôle Joseph/Alphonse/Prosper et celle du Chœur de chambre de Namur, très présent, très sollicité par la mise en scène et très investi. La Métella d’Aude Extremo est une réussite que ce soit dans l’air de la lettre ou dans son rondeau dans lequel elle joue avec bonheur de son registre grave et de son timbre sensuel. Franck Leguerinel compose un baron prétentieux et ridicule à souhait absolument sensationnel (son « Je vais m’en fourrer jusque-là » est délicieux). Enfin, Jodie Devos est techniquement parfaitement armée pour affronter les difficultés du rôle de Gabrielle qu’elle enlève avec panache et conviction.
Le public de cette première a manifestement adoré cette production qui, même si on passe un excellent moment, m’a toutefois laissé un goût d’inachevé ou de légère déception.
Crédits photographiques ©J-Y Grandin
Programme et distribution :
Jacques Offenbach (1819-1880)
La Vie Parisienne
Opéra bouffe en cinq actes (version 1866)
Livret en français de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Créé au Théâtre du Palais-Royal en 1866
Gabrielle : Jodie Devos
Gardefeu : Rodolphe Briand
Bobinet : Marc Mauillon
Le Baron : Franck Leguérinel
La Baronne : Sandrine Buendia
Metella : Aude Extrémo
Le Brésilien Gontran / Frick : Eric Huchet
Urbain / Alfred : Laurent Kubla
Pauline : Elena Galitskaya
Clara : Louise Pingeot
Bertha : Marie Kalinine
Madame de Quimper-Karadec : Ingrid Perruche
Joseph / Alphonse / Prosper : Carl Ghazarossian
Madame de Folle-Verdure : Caroline Meng
Danseurs : Mikael Fau, Emilie Eliazord, Anna Beghelli, Lili Felder, Keyla Ramos-Barea, Arthur Roussel, Tidgy Château, Guillaume Zimmermann
Mise en scène, décors, costumes : Christian Lacroix
Collaborateurs à la mise en scène : Laurent Delvert, Romain Gilbert
Assistante décors : Philippine Ordinaire
Assistant costumes : Michel Ronvaux
Chorégraphie : Glyslein Lefever
Assistant chorégraphe : Mikael Fau
Lumières : Bertrand Couderc
Chœur de chambre de Namur
Les Musiciens du Louvre, en partenariat avec le Jeune Orchestre Atlantique
Direction musicale : Romain Dumas