L’Elisir d’amore naît d’un concours de circonstances, la défaillance d’un compositeur ayant amené le théâtre de la Canobbiana, scène rivale de la Scala, à passer commande d’un petit opéra bouffe à Donizetti. Ce sera une adaptation express par Romani d’un livret écrit par Scribe (pour Le Philtre d’Auber) et une composition rapide (2 à 4 semaines) par Donizetti. Celui-ci critique assez violemment la distribution en marge des répétitions, qui ont débuté avant même l’achèvement de la partition. Ce sera néanmoins un triomphe (33 représentations au cours de la saison) puis une exportation rapide vers toute l’Italie (à noter une reprise à La Scala en 1835 avec Malibran en Adina) et le monde entier.
Cette œuvre délicate et charmante tient autant par le soin apporté à la musique que par la finesse de la construction des personnages, éloignés des caricatures. C’est dire que le modèle du concert unique, - avec nécessairement un nombre limité de répétitions - est assez mal adapté à la production de cet ouvrage.
La direction de Francesco Lanzillota est engagée et vive et comporte de belles nuances. Mais elle ne parvient pas à entraîner totalement l’ONDIF ni à éviter certaines pesanteurs. L’attention portée aux chanteurs pêche parfois, qu’il s’agisse de quelques départs un peu anticipés ou, plus ennuyeux, d’un équilibre entre l’orchestre et les solistes globalement mal assuré, surtout dans les ensembles. Le chœur de chambre de Rouen a de toute évidence également manqué de quelques répétitions, ses interventions souffrant souvent d’un excès ou au contraire d’une insuffisance d’énergie.
En revanche, la distribution était une véritable réussite et on saluera les qualités d’acteurs et de caractérisation des chanteurs, d’autant plus remarquables que le nombre de répétitions a été réduit et qu’il s’agissait de prises de rôles pour les deux principaux protagonistes.
Catherine Trottmann est une délicieuse Gianetta, dont la voix ample au très beau timbre est remarquable dans les ensembles. Philippe-Nicolas Martin retrouve le rôle de Belcore avec une évidente gourmandise. Très à l’aise, il campe un Belcore suffisant et séduisant, très présent sur scène. Son « Come Paride vezzoso... » est impeccable de technique et de drôlerie. Le Dulcamara cynique et espiègle de Nicola Ulivieri est également très réussi : la voix de basse, bien projetée est très souple, le legato remarquable.
Annoncé souffrant, Cyrille Dubois rencontre peu de difficultés en Nemorino qui convient bien à son timbre et à ses qualités techniques qui nous valent une « Lagrima » poétique et rêveuse. On aurait pu souhaiter une caractérisation d’un Nemorino un peu moins « gros bêta » mais la magie opère grâce à de beaux aigus et un sens prononcé des nuances.
Jodie Devos est une parfaite Adina qui déroule sa partie colorature avec une aisance impressionnante sans jamais perdre de vue son personnage dont l’évolution au long de l’ouvrage est rendue avec finesse. La voix est dépourvue de toute acidité, les aigus restent colorés et le timbre empreint de douceur. Les audaces d’interprétation vocale sont maitrisées et l’amoureuse prend le pas sur la gamine coquette.
Ce fut une soirée très agréable, avec des interprètes justement salués au rideau, même si j’ai pour ma part regretter une lecture orchestrale un peu grossière en regard du beau travail des chanteurs.
Crédits photographiques : © Jean-Yves Grandin
Programme et distribution :
Gaetano Donizetti (1797-1848)
L’Elisir d’amore
Opera comica en 2 actes
Livret en italien de Felice Romani
Créé à Milan (Teatro della Canobbiana) le 12 mars 1832
Adina : Jodie Devos
Nemorino : Cyrille Dubois
Dulcamara : Nicola Ulivieri
Belcore : Philippe-Nicolas Martin
Giannetta : Catherine Trottmann
Orchestre National d’Ile-de-France
Chœur de chambre de Rouen, direction Frédéric Pineau
Direction musicale : Francesco Lanzillota