Le Faust de Gounod est un des monuments du grand opéra français et, avec Carmen, l’opéra français le plus joué au monde. Son succès immédiat ne s’est jamais démenti (on approche des 2 700 représentations à l’Opéra de Paris). Remanié à différentes reprises par Gounod, il s’éloigne largement de l’œuvre de Goethe et se centre sur le désir de jeunesse et d’amour de Faust, son histoire avec Marguerite et la déchéance puis le salut de celle-ci.
Les choix esthétiques de la direction de Thomas Hengelbrock sont surprenants. Tirer à ce point l’œuvre loin des chatoiements de la musique française pour en souligner les proximités avec le romantisme allemand est un contresens absolu. Si ce choix transparait dès l’ouverture aux accords pesants, au tempo lent et aux silences prolongés, il produit néanmoins quelques beaux moments d’émotion (notamment la mort de Valentin) et contribue à la progression dramatique de l’œuvre. Le travail avec les chœurs comme avec l’orchestre est millimétré et les équilibres parfaitement ajustés.
Tobias Kratzer fait le pari d’une actualisation intégrale du propos dans le Paris du XXIème siècle. Assumant totalement, à la différence de la direction, la filiation française de l’œuvre, il réussit à porter et la dimension spectaculaire de l’œuvre et les drames intimes qu’elle contient. La mise en scène est ainsi parfaitement adaptée à la musique, collée au livret, dans un travail respectueux qui ne cède jamais à la facilité. Si le spectacle est émaillé d’un grand nombre de surprises, celles-ci procèdent toujours d’une relecture intelligente, construite et argumentée (la rencontre en boite de nuit, la présence récurrente du Faust âgé, le viol de Marguerite par Méphistophélès, la scène de l’échographie qui explique l’infanticide, la présence quasi permanente des « assistants » de Méphistophélès, les survols de Paris …). Renforçant considérablement l’importance des seconds rôles auxquels il donne une épaisseur inhabituelle, Tobias Kratzer gomme le caractère religieux de l’œuvre et en souligne les côtés vénéneux et désespérés. On regrettera juste que le décor de la scène du métro, par ailleurs impressionnante, pénalise trop la projection des voix.
Benjamin Bernheim incarne un Faust exceptionnel, complexe, désespéré, assoiffé de jeunesse et d’amour, touchant d’humanité. Son chant est très élégant, d’un style irréprochable, les passages en voix mixte sont superbes et le travail sur le souffle remarquable. Sa technique sure lui permet de surmonter les écueils que créent les tempi lents adoptés par l’orchestre.
Face à lui, la Marguerite d’Angel Blue, est également très engagée dans un rôle dont elle gère la complexité et la progression dramatique avec succès. Sa Chanson du roi de Thulé est impeccable et elle est bouleversante dans les scènes de l’église (du métro) et de la prison, ne cédant jamais aux facilités d’interprétation.
En Méphistophélès, Christian Van Horn est parfait de méchanceté ironique et totalement glaçant dans la scène de l’église. Les graves sont parfois un peu trop caverneux mais l’incarnation du Mal est très convaincante.
Florian Sempey peine un peu à convaincre au II, avec une voix qui est excessivement allégée et aux couleurs un peu pâles. Mais il sera impressionnant dans la scène de sa mort, avec ses imprécations et malédictions bouleversantes. Emily D’Angelo est crédible en travesti adolescent, mettant son timbre juvénile au service d’un Siebel auquel la mise en scène confère une place inaccoutumée. Même importance renforcée pour dame Marthe dans laquelle Sylvie Brunet-Grupposo se livre à une composition impressionnante de présence scénique. Enfin, le beau timbre de Guilhem Worms et sa Chanson du Rat nous font regretter que son rôle soit si court.
Crédits photographiques : © Charles Duprat /ONP
Programme et distribution :
Charles François GOUNOD (1818-1893)
FAUST
Opéra en cinq actes
Livret en français de Jules Barbier et Michel Carré
Créé à Paris (Théâtre Lyrique) le 19 mars 1859
Mise en scène : Tobias Kratzer
Décors et Costumes : Rainer Sellmaier
Lumières : Michael Bauer
Vidéo : Manuel Braun
Faust : Benjamin Bernheim
Méphistophélès : Christian van Horn
Valentin : Florian Sempey
Marguerite : Angel Blue
Siebel : Emily d’Angelo
Dame Marthe : Sylvie Brunet-Grupposo
Wagner : Guilhem Worms
Faust âgé : Jean-Yves Chilot (rôle muet)
Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris
Chef des Chœurs : Ching – Lien Wu
Direction musicale : Thomas Hengelbrock