Lakmé rencontra un succès immédiat à sa création, succès qui ne s’est guère démenti par la suite (plus de 1600 représentations au total dans le seul Opéra-comique), sauf peut-être dans la fin du XXème siècle. A la suite de Marie van Zandt, les plus grandes sopranos coloratures s’y sont produites, notamment, pour ne citer qu’elles, Lily Pons, Mado Robin, Mady Mesplé et Nathalie Dessay. Caractéristique du goût exotique de l’époque, l’œuvre se fonde sur un livret qui n’a rien de très original et qui reprend les poncifs de l’histoire de la jeune fille au destin tragique qui paie de sa vie des amours interdites et transgressives.
La lecture de Laurent Pelly est très conformiste, sans surprise, mais elle est très efficace dans l’affirmation d’un père autoritaire, manipulateur et aveuglé par une passion religieuse qui finit par détruire toute trace de son humanité. Dans cette lecture, les personnages de Lakmé et celui de Gérald deviennent presque secondaires au propos, personnages aux destins a priori tout tracés mais qui vont se voir broyés par le fanatisme religieux. Les décors sont sobres, voire dépouillés et ne présentent qu’assez peu d’intérêt, bien loin des débauches de moyens qui firent le succès de l’œuvre lors de sa création. A rebours de tout exotisme, ils nous prodiguent néanmoins quelques belles images, notamment pendant l’air des clochettes ou encore au début du dernier acte.
Raphaël Pichon donne à entendre une lecture vive, subtile et très équilibrée de la partition. Mettant en avant toute l’élégance de la musique de Delibes, il réussit à capter et à conserver l’attention de l’auditeur sans effets appuyés. Servi par un Ensemble Pygmalion aux très belles couleurs, il parvient à rendre les différentes atmosphères sans jamais céder à la tentation d’un orientalisme de complaisance. La sensualité de « Sous le dôme épais » ou de « Ah! viens dans la forêt profonde » est ainsi parfaitement rendue, tout comme la tension dramatique de l’air des clochettes ou des interventions de Nilakantha. Enfin, tout l’acte III est empreint d’une tristesse délicate qui devient peu à peu bouleversante.
Sabine Devieilhe est parfaitement à l’aise dans le rôle de Lakmé auquel elle apporte toute ses qualités de virtuose mais auquel elle donne aussi une épaisseur inhabituelle. Le timbre est clair, le chant est lumineux, sans afféterie. L’homogénéité du timbre ne se désunit jamais, quelles que soient les difficultés de la partition, les trilles et les vocalises sont irréprochables et le recours fréquent au tenuto, souvent accompagné de pianissimi aériens, est remarquable. Du duo des fleurs à l’air des clochettes, du grand duo du I (« D'où viens-tu ? Que veux-tu ? ») à la mort du III, la maitrise est totale et l’interprétation bouleversante.
Frédéric Antoun ne dispose pas des mêmes moyens vocaux ; ils sont durement éprouvés par l’œuvre et semblent s’amenuiser au cours de la soirée. Le lyrisme et l’élégance du timbre, très présents et agréables au I, disparaissent peu à peu et le III le trouve en difficulté sur le souffle et les aigus. Malgré cela, servie par un engagement vibrant, sa composition de Gerald reste très touchante.
A l’inverse, Stéphane Degout domine le rôle de Nilakantha, dont la tessiture lui convient à merveille. Il compose un véritable fou de Dieu, illuminé et terrifiant dans son inhumaine soif de vengeance à laquelle tout doit plier et que rien n’ébranle, pas même la mort de sa fille. Dominant le plateau d’une présence impressionnante, il sait aussi s’extraire de cette exigeante accumulation d’imprécations pour soudain venir nous émouvoir avec un tendre « Lakmé ton doux regard se voile ».
Ambroisine Bré est une superbe Malika dont le timbre est parfaitement assorti à celui de Sabine Devieilhe, ce qui nous offre un très beau duo des fleurs. Philippe Estèphe, touchant en ami dévoué et sincère, déploie son beau baryton qui s’impose parmi les seconds rôles dès le quintette du I. En Mistress Bentson, Mireille Delunsch est d’une très agréable présence, accompagnée avec bonheur par Elisabeth Boudreault (Ellen) et Marielou Jacquard (Rose). François Rougier est un Hadji de luxe, au très beau phrasé. Enfin, le chœur Pygmalion délivre une très belle prestation, équilibrée et maitrisée, même si on peut regretter une diction parfois imprécise.
Le public a longuement salué cette production, idéalement servie par une direction attentive au style et par une distribution (intégralement francophone) à la composition presque parfaite et à la diction remarquable. Elle sera présentée à Strasbourg et à Nice et donnera lieu à retransmission par France Musique le 22 octobre prochain.
Crédits photographiques : © S.Brion
Programme et distribution :
Leo Delibes (1836-1891)
LAKME
Opéra en trois actes
Livret en français d’Edmond Gondinet et Philippe Gille
Créé à Paris, à l’Opéra-Comique, le 14 avril 1883
Lakmé : Sabine Devieilhe
Gérald : Frédéric Antoun
Mallika : Ambroisine Bré
Nilakantha : Stéphane Degout
Frédérick : Philippe Estèphe
Ellen : Elisabeth Boudreault
Rose : Marielou Jacquard
Mistress Bentson : Mireille Delunsch
Hadji : François Rougier
Un Marchand chinois : Guillaume Gutiérrez
Un Domben : François-Olivier Jean
Un Kouravar : René Ramos Premier
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Adaptation des dialogues : Agathe Mélinand
Décors : Camille Dugas
Lumières : Joël Adam
Chœur et orchestre : Ensemble Pygmalion
Direction musicale : Raphaël Pichon