Destinée à offrir un nouveau rôle à succès à Hortense Schneider, la création de la Périchole – en deux actes- fut néanmoins un échec et, en dépit de la renommée d’Offenbach attint péniblement la 76ème représentation. Remaniée en trois actes et reprise en 1874, cette version définitive de l’œuvre connut un succès rapide et qui dura jusqu’à la fin du siècle. Il faudra ensuite attendre les années 1960-70 pour voir l’œuvre revenir sur les plus grandes scènes. Plus amère, moins parodique que les grands opéras bouffe d’Offenbach, La Périchole est aussi une partition extrêmement riche. C’est surtout une œuvre un peu particulière dans la production d’opéras-bouffes d’Offenbach ; si on y retrouve la pétillante vivacité de la musique, les ingrédients comiques habituels et la parodie du grand opéra à la française, on y trouve aussi une critique assez acerbe de la condition sociale des artistes de rue, de la façon dont les classes plus aisées les utilisent, des phénomènes de cour et de l’arbitraire du pouvoir politique.
La mise en scène de Laurent Pelly est une totale réussite, saluée comme telle au rideau final en ce soir de seconde première. Le double sens de l’œuvre, comique et douce-amère, est parfaitement rendu dans des décors et des lumières qui alternent le brio et le clair-obscur. La direction d’acteurs est d’une redoutable précision, aussi bien pour les mouvements de foule, réglés au cordeau, que pour chacun des interprètes, dont aucun n’est abandonné à lui-même, et dont le moindre coup d’œil en biais, le moindre hochement de tête, semblent millimétrés. Il en ressort une lecture très cohérente, dynamique, emplie d’énergie et pour tout dire totalement convaincante. Les Musiciens du Louvre se plient avec un plaisir manifeste à la baguette de Marc Minkowski qui alterne des tempi vifs avec des lectures ciselées et qui ne manque à aucun moment de soutenir ses interprètes. C’est une farce débridée, libertine et parfois amère que donnent à entendre les beaux phrasés que Minkowski obtient de son orchestre, au demeurant totalement engagé dans le déroulement de l’action à laquelle il participe d’ailleurs à plusieurs reprises.
Le plateau est idéal, les interprètes associant avec grand bonheur leurs talents musicaux et leurs aptitudes de comédiens. La diction de tous est impeccable, travaillée, et fait des numéros parlés un élément essentiel de l’action, aidée en cela des dialogues subtilement actualisés par Agathe Mélinand.
Marina Viotti est une Perichole débordante de sensualité, gouailleuse et affranchie. Le timbre est superbe, la voix bien projetée mais c’est surtout la ligne de chant qui retient l’attention et qui lui permet de distiller un air de la griserie drôle et dénué de toute vulgarité, de recourir dans « Ah, Que les hommes sont bêtes » à une voix de poitrine à damner des ermites, ou de cingler le pauvre Pequillo de « tu n’es pas riche, tu n’es pas beau » à désespérer une armée de carabins. Le tempérament, le sens de la liberté qu’elle donne à sa Périchole est annonciateur de Carmen et l’émotion pointe dans toutes ses interventions.
Stanislas de Barbeyrac saisit parfaitement son Piquillo : gentil garçon, très amoureux, brute au grand cœur, un peu benêt, pas bien dégrossi. Le timbre est superbe, la projection impeccable et le chant est toujours élégant et soigné. Bel acteur, il est aussi drôle qu’attachant et aussi agaçant dans sa prétention toute masculine. Il réussit à assortir cette incarnation réussie d’un chant dans lequel perce souvent des sentiments un peu désespérés.
Le vice-roi d’Alexandre Duhamel est tout aussi réussi : autocrate libidineux et étroit d’esprit, il met sa voix puissante et son timbre aux reflets sombres au service d’une très belle performance théâtrale.
Les trois cousines, tenancières de gargote, sont tenues par des interprètes de haute volée. Les cousines forment un ensemble extrêmement séduisant par leur espièglerie et leur vulgarité éhontée. Chloé Briot, Alix Le Saux et Éléonore Pancrazi incarnent des personnages travaillés avec soin et se déchainent avec gourmandise dans une farce joyeuse et un rien vulgaire. Les voix sont à la hauteur de ce travail de comédiennes et s’harmonisent parfaitement. Elles jouent et chantent également, de façon tout aussi convaincante, les courtisanes du palais, avec l’appui d’une Nathalie Perez au joli timbre. Rodolphe Briand et Lionel Lhote participent aussi de cette fête joyeuse et bien chantée : courtisans veules, obséquieux et ridicules à souhait. Les deux notaires avinés (Mitesh Khatri et Jean-Philippe Fourcade) sont également au-dessus de toute critique, avec une diction exemplaire et Mitesh Katri bénéficie d’un fort joli timbre.
En grande forme, le Chœur de l'Opéra National de Bordeaux, délivre une belle prestation, très harmonieuse, très construite et très articulée, tout en étant très sollicité par la mise en scène.
C’est jusqu’au 27 novembre. Courrez-y !
Crédits photographiques : © Vincent Pontet
Programme et distribution :
Jacques Offenbach (1819-1880)
LA PERICHOLE
Opéra bouffe en trois actes
Livret en français de Meilhac et Halévy
Créé à Paris, théâtre des Variétés, le 6 octobre 1868 (25 avril 1874)
La Périchole : Marina Viotti
Piquillo : Stanislas de Barbeyrac
Don Andrès de Ribeira : Alexandre Duhamel
Le Comte Miguel de Panatellas : Rodolphe Briand
Don Pedro de Hinoyosa : Lionel Lhote
Guadalena / Manuelita : Chloé Briot
Berginella / Ninetta : Alix Le Saux
Eléonore Pancrazi | Mastrilla / Brambilla
Natalie Pérez | Frasquinella
Eddy Letexier | Le vieux prisonnier / Le Marquis de Tarapote (rôles parlés)
Mitesh Khatri | Le premier notaire (membre du chœur)
Jean-Philippe Fourcade | Le deuxième notaire (membre du chœur)
Figurants Valérie d’Antochine, José-Maria Mantilla Camacho, Wadih Cormier, Antoine Lafon, Yvon-Gérard Lesieur, Pascal Oumakhlouf, Xavier Perez, Clara Rozzi
Marc Minkowski | direction
Laurent Pelly | mise en scène et costumes
Agathe Mélinand | adaptation des dialogues
Chantal Thomas | scénographie
Michel Le Borgne| lumières
Jean-Jacques Delmotte | collaborateur aux costumes
Les Musiciens du Louvre
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux | direction Salvatore Caputo
Direction musicale : Marc Minkowski