Le Voyage dans la Lune est un peu une œuvre rescapée des contingences financières. Issu d’une pièce prévue pour être créée en 1872, puis refusée par le directeur de la Gaîté, un certain Offenbach alors, l’œuvre sera finalement retenue par son successeur et la composition confiée à… Offenbach.
La première a lieu le 26 octobre 1875 au théâtre de la Gaîté à Paris, dans une débauche de décors pour chacun des 24 tableaux, une avalanche de mécanismes et d’illusions, et la présence d’un dromadaire vivant. 24 décors, plus de 600 costumes, 2 ballets assureront un succès considérable dès la première (la Ronde des Charlatans sera trissée) et rentable. L’œuvre tiendra l’affiche durant 185 représentations à la Gaîté et sera montée à Londres et Vienne dès 1876. Elle sera reprise à Paris au Chatelet en 1877 pour deux mois de succès avant de sombrer dans l’oubli.
Le projet vise à offrir une production lyrique aux jeunes interprètes de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique et de constituer donc un terrain de professionnalisation. L’œuvre est donc adaptée à cette ambition, afin de ménager des voix jeunes : réduite à deux heures, la partition a été grandement écourtée (l’original avoisine les 5 heures), un grand nombre de numéros ont été supprimés et l’orchestre a été réduit.
La mise en scène de Laurent Pelly s’adapte parfaitement à des interprètes jeunes et utilise au maximum et avec bonheur leur engagement et leurs aptitudes. Elle oppose une Terre envahie par ses déchets à une Lune d’une grande pureté (avec de superbes costumes immaculés) et exploite complètement la dimension poétique et enfantine de l’œuvre. Néanmoins, ce choix fait disparaitre la satire sociale grinçante, chère à Offenbach, et on peut le regretter. Comme on peut regretter que des coupures excessives privent l’argument de cohérence et font disparaitre toute structure du propos : que reste-t-il à la fin de cette confrontation Terre-Lune ? Comment s’achève ce Voyage ? …
Alexandra Cravero tire des Frivolités Parisiennes une prestation musicale très réussie : sa direction claire et précise parvient à rendre tous les effets, que ce soit la poésie du lever de Terre, les explosions du canon ou du volcan, les tourments de Caprice et Fantasia, le comique des ensembles (les artilleurs ou les gardes par exemple). Elle se montre aussi extrêmement attentive aux jeunes voix qui lui sont confiées et leur permet ainsi de donner le meilleur d’elles-mêmes.
Au plan vocal, la réussite de cette production est moins évidente. Le grand nombre de chœurs permet de mettre en avant la qualité du travail de la Maîtrise populaire qui fait preuve de beaucoup de précision et d’une justesse impeccable. Mais dominé par les altos et les sopranos, l’ensemble manque beaucoup de graves pour l’œuvre choisie.
Au-delà des numéros avec chœurs, le choix de confier la quasi-totalité des rôles à des chanteurs très jeunes et inexpérimentés pèse un peu sur la qualité de la représentation. Ceci est flagrant pour Arthur Roussel qui, en dépit d’un engagement incontestable, d’un phrasé prometteur et d’une belle élocution ne dispose vraiment pas des moyens requis par ce rôle de premier plan, dont la difficulté peut par ailleurs le mettre en danger malgré une écriture somme toute très centrale. On peut légitimement questionner ici le choix de la production de confier à un jeune ténor un rôle écrit par Offenbach pour un mezzo-soprano à la voix particulièrement agile (Zulma Bouffar en l’occurrence), a fortiori quand il s’agit d’un rôle aussi exposé que celui-ci. La plupart des autres rôles sont tenus plus qu’honorablement par de jeunes chanteurs auxquels on ne peut guère reprocher que leur jeunesse, des timbres un peu verts et des projections souvent imparfaites, défauts que le temps et le travail, on l’espère, permettront de corriger et qui sont aujourd’hui en grande partie compensés par un engagement et une volonté d’incarnation remarquables. C’est notamment le cas de Mateo Vincent-Denoble (Microscope), d’Enzo Bishop (Cosmos), de Rachel Masclet (Reine Popotte) et de Violette Clapeyron (Flama).
La prestation de Ludmilla Bouakkaz était techniquement tout à fait intéressante et prometteuse, faisant de la soprano colorature la révélation de la soirée. Malgré un timbre un peu trop acidulé à mon goût, la technique est maitrisée et la présence incontestable lui permettant de jouer aussi bien des exercices de virtuosité que des moments loufoques ou tendrement poétiques. Franck Leguérinel, seul chanteur expérimenté de la production, est un roi V’lan délicieux qui domine la distribution de sa présence particulièrement joviale et loufoque, un rien égrillarde.
Gros succès aux saluts pour tous, succès qui trouve l’essentiel de sa justification dans la belle direction d’Alexandra Cravero , dans le caractère très plaisant de la soirée et dans le côté très sympathique de cette initiative de confier à de jeunes talents en devenir une production lyrique de premier plan.
Crédits photographiques : © Stéphane Brion
Programme et distribution :
Jacques OFFENBACH (1819-1880)
LE VOYAGE DANS LA LUNE
Opéra féerie en 4 actes
Livret en français d'Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d'après Jules Verne
Créé à Paris, Théâtre de la Gaîté, le 26 octobre 1875.
Le roi V’lan : Franck Leguérinel
Le prince Caprice : Arthur Roussel
La princesse Fantasia : Ludmilla Bouakkaz
Microscope : Mateo Vincent-Denoble
Le roi Cosmos : Enzo Bishop
Flama : Violette Clapeyron
Popotte : Rachel Masclet
Cactus : Micha Calvez-Richer
Demoiselles d'honneur : Salomé Baslé, Justine Chauzy Le Joly, Judith Gasnier, Airelle Groleau, Maxence Hermann
Mise en scène : Laurent Pelly
Adaptation du livret et nouvelle version des dialogues : Agathe Mélinand
Décors : Barbara de Limburg
Costumes : Laurent Pelly
Lumières : Joël Adam
Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique
Direction artistique : Sarah Koné
Orchestre Les Frivolités Parisiennes
Direction musicale : Alexandra Cravero