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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


10 mars 2023 – La Favorite (Donizetti) à l’Opéra national de Bordeaux.

Publié par Jean Luc sur 11 Mars 2023, 16:22pm

Catégories : #Opera mis en scene

Ecrite dans le style du Grand Opéra à la française, la Favorite réutilise en grande partie la partition d'un opéra précédent de Donizetti, inachevé, L'Ange de Nisida. La Favorite fut créée à l’Opéra de Paris fin 1840.

L’ouvrage est le quatrième opéra écrit en français par Donizetti qui s’essaye ainsi au Grand Opéra, genre dans lequel il a découvert – et admiré - Meyerbeer et Halévy lors de son premier séjour à Paris en 1835. Déjà titulaire d’une flatteuse réputation (il vient de créer Lucia et l’Elixir en Italie), Donizetti connaitra un grand succès avec La Favorite, qui sera représentée 600 fois jusqu’en 1918, sera cité dans La Périchole (1868), avant de sombrer dans un oubli auquel de nombreuses productions récentes de la version française semble vouloir mettre un terme.

C’est la version italienne de l’œuvre qui assurera sa présence sur les scènes au XXème siècle : censure oblige une version italienne au livret adapté fut présentée à Padoue en 1842 puis, à nouveau remaniée, à la Scala le 16 aout 1843.

L’argument est tiré de la relation adultère d’Alphonse XI et de Leonor de Guzman, dont l’histoire nous dit qu’elle fut heureuse et pérenne, du moins beaucoup moins complexe et contrariée que le livret de La Favorite. L’action se déroule dans le sud de l’Espagne au temps de la reconquête et sert de cadre à un chassé-croisé amoureux à la logique parfois défaillante et à l’expression violente du conflit entre les pouvoirs temporels et spirituels. Cet argument permet, comme le veut la règle, de déployer tout le faste très codifié du Grand Opéra, ses 4 actes et son ballet. L’ouvrage réunit les grands noms du chant lyrique de l’époque, à commencer par Rosina Stoltz, maitresse du directeur de l’Opéra, situation à laquelle on doit peut-être l’écriture du rôle-titre pour une mezzo-soprano…. A ses côtés, c’est Duprez qui a créé Fernand, Barroilhet Alphonse XI et Levavasseur le père Balthazar.

C’est la version intégrale de La Favorite que propose cette production de Bergame transportée à l’Opéra national de Bordeaux. La mise en scène de Valentina Carasco est dans l’ensemble très respectueuse de l’œuvre et de son style et rend perceptible l’omniprésence du pouvoir religieux et la violence de son opposition avec le pouvoir royal. Plus discutable est le fil rouge qu’elle essaie d’imposer, dénonciation de la violence faite aux femmes. Si ce propos rencontre quelques belles réussites comme la présence récurrente des anciennes favorites incarnées par des amatrices âgées ou la substitution au ballet de cette évocation de la relégation des femmes qui ont cessé de plaire et de « l’invisibilisation » des femmes âgées, les contorsions sont parfois trop visibles, comme ces évocations anachroniques de Carmen, la présence de gynécées royaux dans l’Espagne médiévale et catholique, la simplification à l’extrême du personnage de Leonor, l’absence d’utilisation du personnage d’Ines … Choix qui procède à l’évidence d’un effet de mode et qui est d’autant plus étrange que tout l’opéra romantique du XIXème siècle ne parle quasiment que de l’oppression des femmes et du pouvoir funeste qu’exerce sur elles les hommes… Si la mise en scène est néanmoins globalement agréable, la direction d’acteurs est beaucoup moins séduisante, caricaturant des attitudes hiératiques et des personnages simplifiés à l’extrême, provoquant régulièrement un peu d’agacement chez le spectateur.

Les costumes de Sylvia Aymonino sont globalement réussis et très liés au propos de la mise en scène. La scénographie et les décors de Peter van Praet et Carles Berga souffrent un peu d’un excès d’austérité et de simplicité qui n’apportent qu’un support un peu mou à la représentation. Les lumières de Peter Van Praet sont en revanche très réussies, multiplient les ambiances et offrent des contrejours  qui sculptent les visages de façon souvent saisissantes.

Si Sébastien Droy est doué d’une belle présence, son Gaspar est palot, faute d’un tenor qui se déploie suffisamment et qui soit suffisamment lumineux. Marie Lombard n’a pas ces défauts et le rôle d’Ines convient parfaitement à son timbre brillant, aux aigus ronds et faciles.

Vincent Le Texier est impressionnant en Balthazar : la diction est superbe, la voix est sonore, superbement timbrée sur tout le registre et ses moyens impressionnants lui permettent d’aborder avec bonheur les imprécations de la scène de l’anathème.

Florian Sempey réussit un Alphonse XI idéal. La projection est superbe, la longueur de souffle des plus impressionnantes, le timbre d’une beauté troublante, les nuances exquises et toujours adaptées aux situations théâtrales et musicales. Il compose un roi complexe, parfois violent, parfois presque enfantin dans l’amour, servi par une diction irréprochable. Ses affrontements avec Balthazar sont d’une rare intensité tant sa présence scénique est dense. Ecartelé entre un amour sincère, des obligations royales et les contraintes que lui impose l’Eglise, son Alphonse est une incarnation de très grande classe, au style impeccable et très respectueux du grand opéra à la française.

Même succès total pour le Fernand de Pene Pati. Son français est excellent et la diction est d’une pureté exemplaire. Come Florian Sempey, il s’attache à illustrer le style du Grand opéra sans céder aux effets de l’opéra italien. Le chant se déploie sur les mots, dont chacun est une intention. A ce timbre si lumineux qui en fait toute la valeur, il ajoute des délicatesses infinies d’interprétation, un souci permanent de colorer ses effets,  des pianissimi de toute beauté mais aussi, quand le rôle l’appelle, des éclats vigoureux et virils. Toujours convaincant dans un rôle aux très nombreuses facettes, il réussit une nouvelle fois à faire de sa prise de rôle une référence.

Annalisa Stroppa est loin d’atteindre aux sommets de ses deux comprimari. Elle jouit d’une très belle présence théâtrale mais sa diction française est souvent hasardeuse et l’interprétation s’appuie trop sur des réflexes belcantistes au détriment du style appelé par l’opéra français. Surtout, la voix ne semble pas totalement posséder toutes les ressources requises par ce rôle exigeant : si le medium se pare souvent de couleurs somptueuses, le bas du registre est affecté d’une ennuyeuse raucité et semble souvent au bord de la rupture. C’est fâcheux dans une partition qui sollicite beaucoup le registre grave dans lequel elle est en difficulté, d’autant que l’aigu est aussi en difficulté, souvent à la limite du cri. L’actrice ne convainc pas totalement non plus dans le dernier acte où elle semble un peu trop dans une santé éclatante pour crédibiliser la progression dramatique du rôle dans cet acte.

Le chœur du Grand-Théâtre de Bordeaux est tout à fait remarquable, notamment dans le chœur quasi a cappella du III (« Quel marché, quelle bassesse »). Enfin, Paolo Olmi emmène son plateau et  l’orchestre de l’ONBA avec un sens remarquable du style requis par le grand opéra et avec un sens aigu de la progression dramatique de l’œuvre, avec des équilibres des masses orchestrales toujours assurés et une attention de tous les instants à ses chanteurs sur le plateau.

Au bonheur d’avoir entendu cette œuvre rare sans coupure, s’ajoutait ce soir le plaisir de voir deux chanteurs qu’on apprécie construire des interprétations de référence, qu’il s’agisse de l’Alphonse de Florian Sempey ou du Fernand de Pene Pati. Longue ovation du public au terme de ces presque 4 heures de représentation ! Vous pourrez écouter cette Favorite sur France Musique le 25 mars à 20h.

Crédits photographiques : © Éric Bouloumié

Programme et distribution :

Gaetano DONIZETTI (1797-1848)

LA FAVORITE

Opéra en quatre actes

Livret en français d'Alphonse Royer et Gustave Vaëz, d'après Les Amours malheureuses ou le Comte de Comminges de Baculard d'Arnaud (1790)

Créé à l’Opéra de Paris (salle Le Peletier), le 2 décembre 1840.

 

Leonora : Annalisa Stroppa

Ferdinand : Pene Pati

Alphonse XI : Florian Sempey

Don Gaspar : Sébastien Droy

Balthazar : Vincent Le Texier

Inès : Marie Lombard

 

Mise en scène : Valentina Carrasco

Décors : Peter van Praet & Carles Berga

Costumes : Silvia Aymonino

Lumières : Peter van Praet

Chorégraphie : Massimiliano Volpini

 

Orchestre national Bordeaux Aquitaine

Chœur de l'Opéra National de Bordeaux, chef de chœur Salvatore Caputo

Direction musicale : Paolo Olmi

10 mars 2023 – La Favorite (Donizetti) à l’Opéra national de Bordeaux.
10 mars 2023 – La Favorite (Donizetti) à l’Opéra national de Bordeaux.
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