Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Operaphile

Operaphile

Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


14 mars 2023 – Hamlet (Ambroise Thomas) à l’Opéra national de Paris (Bastille).

Publié par Jean Luc sur 15 Mars 2023, 17:48pm

Catégories : #Opera mis en scene

Dernière création à la salle Le Peletier avant le transfert de l’Opéra à Garnier, Hamlet, opéra en cinq actes et un ballet, se rattache, quoique tardif, au Grand opéra à la française. L’ouvrage est l’un des grands succès d’Ambroise Thomas, musicien officiel s’il en fut. La création fut un succès et l’œuvre fut représentée sur la plupart des grandes scènes européennes avant la fin du siècle. Elle figure parmi les opéras qui ont été les plus représentés à l’Opéra de Paris. Malgré l’intérêt du rôle-titre pour les barytons, l’œuvre sera toutefois négligée au XXème siècle avant de connaitre une renaissance à partir des années 80 : depuis lors, elle est régulièrement montée et atteignait ce soir sa 379ème représentation à l’Opéra de Paris.

Parfois qualifié d’outrage à Shakespeare en raison des libertés prises par les librettistes envers la pièce, Hamlet se dégage aussi, aux plans scénographique et musical du carcan du grand opéra historique. La démarche de l’Opéra qui présente dans cette production une version quasi sans coupure est donc particulièrement intéressante et mérite d’être saluée. 

J’ai à de nombreuses occasions eu l’occasion de signaler ici combien j’apprécie les mises en scène de de Krzysztof Warlikowski mais je dois bien  admettre que ma déception fut ce soir à la hauteur des attentes que j’avais. Non seulement la lecture ne décape absolument pas l’œuvre ni ne nous offre une lecture « modernisée » de ce drame bourgeois, mais la mise en scène se borne à reprendre ce qui finit par ressembler à des tics (l’EHPAD-hôpital psy, la baignoire, les vidéos en noir et blanc… ). Surtout, la mise en scène dénature totalement le texte et la progression dramaturgique de l’ouvrage, sans apport autre que de flatter la lecture du metteur en scène. Ajoutons pour faire bonne mesure une inflation de « gestes » de mise en scène qui éparpillent l’attention, sur l’intention desquels je m’interroge encore (le type qui tricote à l’avant-scène, la distribution d’oranges, l’omniprésence de la cigarette, la voiture téléguidée avec laquelle joue Hamlet quand il s’oppose à son oncle, le roi mort en clown blanc/Nosferatu etc.), un ballet d’une insigne médiocrité, une scène des comédiens qui confine au grotesque…. Ne surnage de cette immense déception qu’une direction d’acteurs millimétrée, servie par des interprètes totalement investis.

Ludovic Tézier fait une nouvelle fois la démonstration qu’il est au sommet de la possession de ses moyens vocaux et artistiques. Il signe là une très grande interprétation, exemplaire du style du grand opéra à la française. S’appuyant sur sa diction parfaite, il joue du texte qu’il s’approprie avec gourmandise et pare d’une infinité de nuances. Le plus époustouflant est sa capacité à assumer avec un même talent les échanges dépressifs avec Ophélie ou avec le spectre de son père, la chanson à boire un rien désespérée et, surtout, la violence de ses confrontations avec son oncle et avec sa mère, d’autant plus impressionnantes que cette violence est contenue, sourde, prête à exploser sans jamais y parvenir vraiment.

Les moyens de Lisette Oropesa sont tout aussi impressionnants au service d’une Ophélie qui y acquiert beaucoup de densité. La voix est puissante, le français impeccable, le medium très séduisant et l’aigu se déploie sur un souffle d’une grande longueur ce qui lui permet d’assumer l’intégralité de la scène de sa mort, sans coupure.

La Gertrude d’Ève-Maud Hubeaux est scéniquement très présente et incarne une reine à laquelle elle donne un relief remarquable. L’écriture est toutefois peut être un peu basse pour elle aujourd’hui et l’oblige à des graves parfois excessivement poitrinés et nuit de temps en temps à l’intelligibilité de sa diction. Mais l’incarnation de Gertrude dans laquelle elle déploie un medium très riche et des aigus brulants est bouleversante d’humanité.

Jean Teitgen est irréprochable en roi assassin même si le personnage est assez mal traité par la mise en scène qui en fait vraiment un rôle secondaire, davantage figurant qu’acteur du drame. Le joli timbre de Julien Behr est toutefois handicapé par une projection un peu trop modeste pour Bastille. J’ai trouvé le spectre de Clive Bayley un rien fatigué. En revanche, les autres « petits » rôle ont tous tenus leur partie avec panache et conviction que ce soit  l’Horatio de Frédéric Caton, le Marcellus de Julien Henric, le veule Polonius de Philippe Rouillon ou encore les deux très bons fossoyeurs qui réussissent à capter l’intérêt malgré une partie fort brève (Alejandro Baliñas Vieites et Maciej Kwasnikowski).

Si le chœur de l’Opéra de Paris tient sa partie avec sa toujours belle musicalité, j’ai trouvé la diction française parfois un peu empâtée, surtout au début de l’œuvre, ce qui est dommage pour notre scène nationale.

J’ai adoré la direction de Pierre Dumoussaud qui redonne à l’œuvre une unité tellement mise à mal par la mise en scène et qui, si on veut bien oublier cette impro jazzy du saxophone, est parfaitement respectueuse de l’œuvre, de son rythme et de son lyrisme. Il assume pleinement le glissement vers la déclamation de ce qui reste encore un Grand opéra à la française et maitrise une puissance sonore qui est d’autant plus remarquable qu’à aucun moment elle ne gêne les chanteurs. Cette direction inspirée et très équilibrée sera justement très applaudie à l’issue de la représentation, comme triompheront les trois protagonistes principaux, à commencer par Ludovic Tézier mais aussi Lisette Oropesa et Eve-Maud Hubeaux, ovationnés.

 

Crédits photographiques : ©Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Programme et distribution :

Ambroise THOMAS (1811-1896)

HAMLET

Opéra en cinq actes

Livret en français de Jules Barbier et Michel Carré d’après l’œuvre de Shakespeare

Créé à l’Opéra de Paris (salle Le Pelletier) le 9 mars 1868

 

Hamlet : Ludovic Tézier

Ophélie : Lisette Oropesa

Claudius : Jean Teitgen

Gertrude : Ève-Maud Hubeaux

Laërte : Julien Behr

Le Spectre : Clive Bayley

Marcellus : Julien Henric

Horatio : Frédéric Caton

Polonius : Philippe Rouillon

Premier Fossoyeur : Alejandro Baliñas Vieites

Second fossoyeur : Maciej Kwaśnikowski

 

Mise en scène : Krzysztof Warlikowski

Décors et costumes : Malgorzata Szczęśniak

Dramaturgie : Christian Longchamp

Lumières : Felice Ross

Vidéo : Denis Guéguin

Chorégraphie : Claude Bardouil

 

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Chef des Chœur : Alessandro Di Stefano

 

Direction musicale : Pierre Dumoussaud

14 mars 2023 – Hamlet (Ambroise Thomas) à l’Opéra national de Paris (Bastille).
14 mars 2023 – Hamlet (Ambroise Thomas) à l’Opéra national de Paris (Bastille).
14 mars 2023 – Hamlet (Ambroise Thomas) à l’Opéra national de Paris (Bastille).
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
F
Hélas oui! Triste mise en scène comme vous l'avez souligné, Lugubre même pour qui connait les Ehpad avec un être cher!. Entendu Ludovic Tezier à Radio classique, plein de lui-même. <br /> Cet été, j'ai vu la retransmission de Hamlet de Ambroise Thomas que je connais, et dont j'admire l'écriture, depuis tant d'années, avec Ophélie, c'est à dire Sabine Devieilhe! Une merveilleuse voix que je redécouvre aujourd'hui, et dans autres Opéra et airs, que seulement "classique". <br /> Son jeu et sa voix ont fait que je regarde 3 fois de suite la vidéo pour tout bien saisir et comprendre du texte et de son jeu si beau!<br /> <br /> Je suis déçue, entièrement, du sort qui est tiré à nos plus beaux opéras , et ceux-là même qui pourraient apporter une autre resenti, plus de sens pour beaucoup! <br /> Je ne vais plus à l'Opéra de vive voix hélas!<br /> Françoise Sérandour, écrivaine, poète, auteure..15 mars2023
Répondre
J
Une mise en scène très indéchiffrable et assez gênante. Mais musicalement et vocalement c était un très grand moment !!

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents