Ariodante est la première création de Haendel pour le nouveau théâtre de Covent Garden qu’il a rejoint après avoir abandonné le King’s theatre. L’œuvre, avec Orlando et Alcina constitue un triptyque d’ouvrages tirés de l’Orlando Furioso de l’Arioste. Elle ne connut à sa création qu’un succès d’estime, ne parvenant qu’à onze représentations, avant de disparaitre (quasi totalement si l’on exclut la reprise de 1736 et celle de 1928) jusqu’à sa résurrection par Minkowski en 2001. Depuis, Ariodante est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de Haendel, l’un de ses ouvrages les plus aboutis, régulièrement repris sur les différentes scènes du monde lyrique.
L’œuvre est servie en premier lieu par un très bon livret (auteur inconnu), à la progression dramatique soutenue qui le distingue de la production baroque habituelle. L’argument est classique et annonciateur des grands émois lyriques du romantisme : un couple de jeunes amoureux aux prises avec les sombres manigances d’un rival qui abuse de la naïveté de l’amie du couple, manigances qui conduisent l’amoureuse à la folie et son amant aux portes du suicide, des duels, la mort du méchant et le triomphe de l’amour. Trahison et sacrifice constituent ainsi l’essentiel des ingrédients de cette œuvre majeure, qui met en scène l’éternel combat du Bien et du Mal
La partition regorge de véritables pépites, notamment les éclats virtuoses des amoureux comblés au I, les airs particulièrement noirs et soignés du rôle de Polinesso, le superbe « Si morro » de Ginevra au III et bien sûr le sublime lamento « Scherza infida » qui compte parmi les plus beaux airs de toute l’histoire de l’opéra. Des pages orchestrales superbes émaillent les trois actes, destinées à l’origine à la danseuse Marie Sallé.
A la tête de l'English Concert, Harry Bicket, comme en 2017 au Théâtre des Champs Elysées (VOIR ICI) délivre un Ariodante plus appliqué et honnête que réellement inspiré, même si certaines scènes, et en particulier le « Scherza Infida », sont d'une grande beauté. Toutefois, les tempi très ralentis, voire parfois excessivement alanguis, sont d’un autre temps et l’accompagnement des récitatifs manque cruellement d’intensité.
La mise en scène de Robert Carsen est un vrai bonheur. Dans une évocation permanente des aventures de la famille royale anglaise dans un Balmoral tout teinté de vert écossais, elle utilise une figuration très importante de serviteurs et des hordes de paparazzi. La direction d’acteur est impressionnante de précision et les détails abondent sans jamais être décalés par rapport au livret ou à l’action. L’ensemble est millimétré et d’une efficacité remarquable même si l’audace reste très limitée. La chorégraphie de Nicolas Paul donne vie aux nombreux ballets qui émaillent l’œuvre et, entre classicisme et « exotisme écossais », souligne avec intensité des moments clés de l’œuvre, évitant le caractère souvent plaqué de ces musiques de ballet.
Le rôle d’Ariodante, écrit pour Carestini, demande des moyens exceptionnels et c’est peu de dire qu’Emily D’Angelo, en prise de rôle, en triomphe aisément, malgré la direction désespérément sage de Bicket. Elle se coule dans l’aspect physique d’un Ariodante juvénile avec une facilité déconcertante. Si sa première apparition (« Tu, preparati a morire ») est un peu trop retenue, toute la suite de la représentation met en avant des moyens remarquables : la voix est superbe, l’agilité évidente, la technique époustouflante (quels trilles !), l’aigu facile et le grave sonore. Son « Scherza infida » est un moment d’une rare intensité, servi par un souffle parfaitement maitrisé et un légato à faire pleurer les plus endurcis. Enfin, le « Dopo notte » final est délivré avec une réelle incarnation et un sens aigu de l’ornementation.
La Ginevra d’Olga Kulchynska est dotée d’une belle voix, très saine, jouant sur une grande variété de couleurs, ce qui lui permet de faire face à toutes les difficultés du rôle. Son meilleur moment sera le « Il mio crudel martoro », abordé pianissimo comme une plainte hallucinée. Mais pour le reste, l’interprétation tire trop le rôle vers les grandes héroïnes romantiques, voire parfois véristes
Christophe Dumaux est un Polinesso venimeux à souhait. Séducteur, malveillant, vénéneux, insolent, il incarne son rôle de méchant avec un plaisir évident. Chacune de ses interventions est une réussite même si la belle agilité de sa voix et sa technique sont mises à rude épreuve par les lents tempi adoptés par Bicket. Mais il ne fait qu’une bouchée du redoutable « Dover, giustizia, amor » exécuté avec une précision diabolique.
J’ai été vraiment séduit par la Dalinda de Tamara Banjesevic : l’aigu est superbe, le grave très bien timbré, la projection impeccable et les vocalises légères et brillantes. Son personnage est ainsi très bien caractérisé, plus victime, voire traitresse, que naïve.
Le Roi de Matthew Brook est décevant. La diction est souvent approximative, les graves manquent un peu trop pour ce rôle de père et le personnage est un peu trop surjoué pour être convaincant. En revanche, Eric Ferring est un beau Lurcanio, au joli timbre chaud et expressif qui vocalise avec facilité, notamment dans « Il tuo sangue, ed il tuo zelo ». Enfin Enrico Casari est un secrétaire convaincant dont la belle voix est un peu sous exploitée dans ce petit rôle.
Crédits photographiques : © Agathe Poupeney-OnP
Programme et distribution :
Georg Friederich HAENDEL (1685-1759)
ARIODANTE
Dramma per musica en 3 actes
Livret en italien, auteur inconnu, d’après Antonio Salvi
Créé à Londres, Royal Theatre, Covent Garden le 8 janvier 1735
Ariodante : Emily D’Angelo
Ginevra : Olga Kulchynska
Polinesso : Christophe Dumaux
Dalinda : Tamara Banjesevic
Il Re di Scozia : Matthew Brook
Lurcanio : Eric Ferring
Odoardo : Enrico Casari
Chœurs de l’Opéra national de Paris
Chef de chœur : Alessandro Di Stefano
The English Concert
Direction musicale : Harry Bicket