Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Operaphile

Operaphile

Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


28 février 2024 – Beatrice di Tenda (Bellini) à l’Opéra national de Paris (Bastille)

Publié par Jean Luc sur 1 Mars 2024, 18:00pm

Créé le 16 mars 1833 à la Fenice de Venise, l’opéra Beatrice di Tenda est souvent considéré comme plus proche du style de Donizetti que de l’inventivité de Bellini dont Norma avait été créée dans le même théâtre, trois mois plus tôt, fin décembre 1832. Cette proximité de style, accrue par un livret qui, quoique collant à la réalité historique de cette tragique histoire, reprend tous les poncifs du style donizettien, a souvent été présentée comme expliquant l’échec de cette création. En effet, l’opéra disparut après seulement trois représentations jusqu’à une reprise à Milan en 1961. Il n’en demeure pas moins que la musique est émaillée de pages qui rendent parfaitement justice à l’inventivité mélodique de Bellini, comme, par exemple, le finale de l’acte I et la prière de Béatrice qui y est incluse, ou encore la longue intervention de Filippo au II ou encore le trio « Angiol di pace » ou l’air de Béatrice «Ah se un’urna…».

De cette reprise par l’Opéra de Paris, on oubliera aussi vite que possible la mise en scène de Peter Sellars qui est à la fois tragiquement discrète et tragiquement ridicule. La direction d’acteurs est minimaliste, les chœurs abandonnés à eux-mêmes avec de grands mouvements de bras implorants, d’autant plus dommage quant on sait à quel point les chœurs de l’Opéra de Paris sont capables de participer à l’action. On y apprend, entre autres absurdités, que l’on taille les bordures de buis à l’ébrancheur dans les jardins Renaissance… La violence du pouvoir qui semble interpeler Sellars ne se manifeste guère que dans la présence de téléphones portables, de caméras de surveillance et de mitraillettes, tout cela fort mal intégré à l’intrigue… Seules les visions finales d’un Orombello et d’une Béatrice torturés, ensanglantés et titubants de souffrance donnent un peu de corps à une mise en scène amorphe. Le décor de George Tsypin est dénué de tout intérêt, comme les costumes de Camille Assaf, quand ces derniers ne sont pas, notamment pour Béatrice, d’une grande laideur

On attendait Tamara Wilson dans un rôle de bel canto après ses triomphes parisiens dans Turandot et Adrienne Lecouvreur (voir ICI). Il n’y a pour moi aucun doute sur le fait que ce rôle de Beatrice est destiné à un grand soprano dramatique. Et ce soir encore, tout sourit à Tamara Wilson, incarnation quasi parfaite du soprano drammatico d’agilità. Le chant se pare de nuances d’une très grande variété, le souffle est long, le phrasé de grande classe, la projection impeccable, les piani, les trilles, les sons filés et la colorature sont impeccables. Tout juste peut-on souligner quelques aigus un peu tirés peut être, probablement sous l’effet de la fatigue. On pourrait aussi relever une forme de sobriété dans l’ornementation qui, de mon point de vue, correspondent bien au style de Bellini qu’elle éloigne ainsi des héroïnes de Donizetti. Elle réussit à triompher des multiples difficultés de la partition, mal caractérisée en termes de style comme on l’a dit plus haut, utilisant ces défauts de caractérisation pour imposer une interprétation assez personnelle de Beatrice, nonobstant l’indigence de la mise en scène.

Même si Beatrice di Tenda n’est pas un opéra de ténor,  Pene Pati incarne un Orombello de très haut niveau, parfaitement convaincant : la maitrise du chant, de la ligne et de l’émission sont parfaites. L’incarnation de cet antihéros est pathétique à souhait, sans effets inutiles, sans esbrouffe. Les aigus sont superbes et le timbre est absolument exceptionnel. Le duo qu’il forme avec Tamara Wilson est un sommet du chant lyrique tant les deux chanteurs sont proches par le respect du style, le sens du texte et l’exigence technique.

Le rôle masculin de l’œuvre c’est celui de Filippo, confié ce soir au baryton Quinn Kelsey. Si l’on ne peut qu’admirer son engagement dans ce rôle écrasant, on ne peut que regretter une interprétation un peu trop caricaturale du rôle de méchant, d’autant peu convaincante que la voix est plus à l’aise dans l’aigu que dans le bas du registre et que le timbre est plus clair que sombre. C’est davantage un problème de distribution qu’une question de qualités de l’artiste car le timbre est beau, la voix est sonore, et la technique de chant est évidente même si elle sonne parfois plus verdienne que bellinienne…

C’est Theresa Kronthaler qui m’a semblé la moins convaincante ? Dans le rôle d’Agnese, elle semble peu concernée par son personnage et paraît en difficultés en termes de style ; malgré un timbre assez élégant et très beau dans le haut du registre, le chant reste raide, très loin des canons belcantistes.

Même dans le tout petit rôle d’Anichino, Amitai Pati réussit à imposer une présence physique réelle et sa prestation montre un timbre clair de grande beauté et une technique solide et prometteuse. De même le Rizzardo del Maino de Taesung Lee est d’excellente facture et donne envie d’en entendre davantage.

Particulièrement sollicité par la partition, le Chœur de l’Opéra de Paris tient vaillamment sa partie même si les pupitres masculins ont accusé quelques décalages au Ier acte, mais la prestation depuis le haut des balcons est impeccable et procure un effet saisissant.

Sous la direction de Mark Wigglesworth, l’orchestre de l’Opéra tire le meilleur de la partition. Le programme de salle souligne qu’il s’agit d’une nouvelle édition critique de l’œuvre qui restitue l’instrumentation et le final originel de la partition (sans da capo pour Beatrice et sans finale avec chœur, donc). La direction est très précise, scrupuleusement bellinienne dans le respect mélodique, et très attentive aux équilibres avec le plateau, laissant un espace d’expression important aux chanteurs qui ne sont jamais couverts ce qui mérite d’être souligné.

Pour cette entrée à l’Opéra de Paris où l’œuvre n’avait jamais été représentée, c’est un très gros succès qui a salué les artistes au rideau.

 

Crédits photographiques : © Franck Ferville-OnP

 

Programme et distribution :

Vincenzo BELLINI (1801-1835)

BEATRICE DI TENDA

Opéra en deux actes

Livret en italien de Felice Romani

Créé le 16 mars 1833 à Venise (Teatro La Fenice).

 

Beatrice di Tenda : Tamara Wilson

Filippo Visconti : Quinn Quensley

Agnese del Maino : Theresa Kronthaler

Orombello : Pene Pati

Anichino : Amitai Pati

Rizzardo del Maino : Taesung Lee

 

Mise en scène : Peter Sellars

Décors : George Tsypin

Costumes : Camille Assaf

Lumières : James F. Ingalls

 

Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris

Chef des chœurs : Ching-Lien wu

Direction musicale : Mark Wigglesworth

 

 

 

28 février 2024 – Beatrice di Tenda (Bellini) à l’Opéra national de Paris (Bastille)
28 février 2024 – Beatrice di Tenda (Bellini) à l’Opéra national de Paris (Bastille)
28 février 2024 – Beatrice di Tenda (Bellini) à l’Opéra national de Paris (Bastille)
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents