Créé en 1910 pour Chaliapine, Don Quichotte, adaptation (très) libre du roman éponyme de Miguel Cervantes, est l’une des commandes passées à Massenet par la direction de l’Opéra de Monte Carlo en ce début de XXème siècle. Bien accueilli à sa création, la carrière du dernier opéra de Jules Massenet est assez chaotique. Bien qu’apprécié en France et en Italie, il n’a pas été joué à New York depuis les années 30 et n’avait pas été représenté à l’Opéra de Paris depuis 2000 et 2002 (avec, à l’époque, et successivement Samuel Ramey et José Van Dam en Don Quichotte, Jean-Philippe Lafont et Alain Vernhes en Sancho, Carmen Oprisanu et Béatrice Uria Monzon en Dulcinea et sous les baguettes de James Conlon et de Stéphane Denève).
Le livret s’éloigne beaucoup du roman phare de la littérature espagnole en donnant une épaisseur bien plus importante au rôle de Dulcinée, suivant en cela davantage la pièce de Jacques Le Lorrain (Le Chevalier de la Longue-Figure) que le roman de Cervantes.
Après le Cendrillon représenté ici même l’année dernière (voir), l’Opéra de Paris fait donc une nouvelle incursion dans les opéras de Massenet plus rarement représentés que ses deux grands succès (Manon et Werther) et témoigne d’une forme d’audace un peu inhabituelle dans la programmation de cette maison ces dernières années. La beauté de la musique de Massenet, son intensité justifient parfaitement ce retour en grâce.
La mise en scène de Damiano Michieletto est une authentique réussite. Evitant quasiment toute référence à l’Espagne (la seule exception se retrouve dans les évocations chorégraphiques), elle se centre sur le personnage de Don Quichotte, vieilli, alcoolique et un tantinet dérangé qui revit, alors que sa mort approche, les moments importants de sa vie, notamment son amour désespéré pour la coquette Dulcinea. Toute l’action se déroule chez Don Quichotte dans le salon duquel apparaissent comme par enchantement des fantômes du passé qui parviennent parfois à effacer les limites physiques de cet appartement. La mise en scène est particulièrement élégante, exceptionnellement servie en cela par les superbes décors de Paolo Fantin et les beaux costumes de Agostino Cavalca. Si j’ai pu trouver cette mise en scène un peu trop sage, convenue d’une certaine manière, le travail de Michieletto n’en est pas moins particulièrement remarquable dans sa façon de se couler dans la musique, de respecter la partition dont il souligne l’intensité et l’incandescence au moyen notamment d’une direction d’acteurs millimétrée et qui ne néglige aucun personnage, fût-il un simple comparse des chœurs.
Amplement applaudie, l’équipe de chanteurs s’est montrée tout à fait à la hauteur de l’événement. Emy Gazeilles, Marine Chagnon, Nicholas Jones et Samy Camps, échappés d’un pensionnat espagnol, sont de superbes acteurs, particulièrement bien chantants.
Etienne Dupuis a fait la démonstration d’un style français irréprochable et d’une diction impeccable. La voix au timbre chaleureux et ses qualités d’acteurs lui permettent de varier les registres, jouant aussi bien d’effets comiques que de la tendresse et de l’émotion la plus pure. Son « Ô mon maître, ô mon grand » au dernier acte était particulièrement émouvant.
Gaëlle Arquez est également une actrice de grand talent et la voix est superbe. On regrettera toutefois une diction parfois un peu pâteuse qui nuisait à l’intelligibilité du texte. Mais son incarnation de Dulcinea en coquette extravertie, lucide et cynique est remarquable.
Christian Van Horn est un très beau Don Quichotte, très investi scéniquement aussi et au style irréprochable Le timbre est d’une grande beauté mais la diction est parfois un peu approximative et son Don Quichotte, quoique souvent touchant, m’a semblé manquer de fragilité et de désespoir pour être tout à fait bouleversant.
Les Chœurs de l’Opéra sont simplement parfaits dans ce répertoire et très investis dans une mise en scène qui les sollicite particulièrement.
Mais le plus impressionnant a été la direction du maestro Fournillier, grand triomphateur de la soirée à l’applaudimètre. Cette direction précise et parfaitement coulée dans le style de Massenet, restitue avec bonheur toutes la subtilité et les couleurs de cette partition, dont il souligne la puissance et la charge émotionnelle avec un bonheur sans partage.
Crédits photographiques : © Emilie Brouchon – OnP
Programme et distribution :
Jules MASSENET (1842-1912)
DON QUICHOTTE
Comédie héroïque en cinq actes
Livret en français de Henri Cain
Créé le 24 février 1910 à Monte Carlo (Opéra).
Don Quichotte : Christian Van Horn
Sancho Pança : Étienne Dupuis
La Belle Dulcinée : Gaëlle Arquez
Pedro : Emy Gazeilles
Garcias : Marine Chagnon
Rodriguez : Samy Camps
Juan : Nicholas Jones
Deux serviteurs : Young-Woo Kim & Hyunsik Zee
Mise en scène : Damiano Michieletto
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Agostino Cavalca
Lumières : Alessandro Carletti
Vidéo : Roland Horvath
Chorégraphie : Thomas Wilhelm
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Cheffe des Chœurs : Ching-Lien Wu
Direction musicale : Patrick Fournillier