Spontini compose La Vestale en 1805, sur un livret d’Etienne de Jouy refusé par les compositeurs officiels de l’époque (Cherubini et Mehul notamment). Grace à l’appui indéfectible de l’Impératrice Joséphine, la création de l’œuvre en 1807 permit à Spontini d’entrer à L’opéra. La première fut un véritable triomphe qui se confirma par la suite : l’œuvre atteignit la centième représentation en 1816 et la deux-centième en 1830. Si l’œuvre ne disparut jamais tout à fait des scènes c’est surtout grâce aux sopranos qui souhaitaient se confronter à l’exigeante tessiture requise pour chanter Julia, de Rosa Ponselle à Montserrat Caballe en passant par Maria Callas. Mais l’œuvre ne fut plus guère représentée sur la scène de l’Opéra après 1854 et ne connut au XXIème siècle que deux productions à Paris, au théâtre des Champs Elysées, en version mise en scène avec Ermonela Jaho en 2013 (voir ici) et en version de concert avec Marina Rebeka (suivre ce lien) en 2022 .
La Vestale est pourtant un ouvrage majeur dans la transition entre le classicisme de Gluck et le répertoire romantique qu’il s’agisse du Grand Opéra à la française ou de l’opéra romantique italien du XIXème siècle. La composition mêle ainsi un chant très déclamatoire, appuyé sur du récitatif expressif, et une musique orchestrale raffinée, exploitant beaucoup les cuivres et les vents, et appuyant les tableaux monumentaux proposés au public.
C’est donc peu de dire que le retour de cet opéra dans la maison qui a vu sa création était attendu. L’Opéra a confié la production à Lydia Steier, dont la mise en scène de Salomé en 2022 a été très critiquée compte tenu de son goût immodéré pour les scènes violentes, sanglantes, explicites. De fait, on retrouve toutes ces obsessions dans cette mise en scène mais la proposition de Steier est au final plus ridicule qu’effrayante. A l’évidence Lydia Steier ne fait confiance ni à la musique ni au livret pour emporter le spectateur. Il lui faut donc à toutes fins leur substituer sa lecture et ses obsessions militaro-érotiques ce qui conduit à une mise en scène grandguignolesque, bouffie et prétentieuse. Ridicules, illisibles, sans rapport avec le texte ni même l’argument sont le serment aux mains coupées sanglantes de Licinius et Cinna au I, l’étrange relation entre le Pontife et la Grande Vestale, la trahison de Cinna, le meurtre de Licinius qui survit néanmoins au coup de poignard et part gaillardement avec Julia, la crise cardiaque du Pontife, la destitution de la Grande Vestale, la substitution au lieto finale d’un finale en forme de point d’interrogation (Julia et Licinius sont ils assassinés sur ordre de Cinna ?)… Les interminables circonvolutions du trône de Licinius au I attestent d’une absence totale d’idée, comme les nombreuses manifestations de Vesta sous la forme de la Vierge de Lourdes sont illisibles voire risibles (ah cette apparition d’une Vierge de procession démesurée au III…). Enfin, la musique est également ignorée par la mise en scène, comme la déchéance et l’exécution de la Vestale au début du I… Tout ceci est placé sous la projection répétée de « Talis est Ordo deorum » (Tel est l’ordre divin) soulignant à l’envi la proposition d’un monde très humain dans lequel le pouvoir (militaire et religieux) est toujours violent, sadique et abusif, dans lequel les femmes sont sans cesse humiliées et dans lequel l’amour est interdit et prévenu à coups de fouet. Bref, un naufrage total dont ne réchappe que l’acte II dans lequel Lydia Steier réussit à insuffler une réelle poésie et une véritable émotion, même si la transformation du feu sacré de Vesta en autodafe dans l’amphithéâtre ruiné de la Sorbonne est discutable tant on touche ici au contresens.
Heureusement, la soirée est sauvée par la fosse et la distribution. La direction de Bertrand de Billy est précise, attentive et nuancée, même si j’aurais préféré que sa lecture soit un peu moins tournée vers le Grand Opéra encore à venir en 1807 et laisse un peu plus d’espace aux très nombreux échos classiques qui émaillent la partition. Mais enfin, cette interprétation qui reste un peu trop sage est efficace et fidèle à la partition, soulignant par là même les libertés prises avec la musique par la mise en scène.
La distribution est quasiment sans faille et la diction comme le français de chacun des interprètes est remarquable, dispensant le spectateur de lire les sous titres, ce qui est suffisamment rare pour être souligné.
Florent Mbia est un chef des Aruspices sobre : la voix est saine, bien projetée et le timbre de baryton rond et très agréable.
Jean Teitgen a les moyens du rôle du grand Pontife dont il souligne, grâce à de superbes graves, l’autorité et la cruauté butée. Il est, de par son seul chant, beaucoup plus inquiétant que tous les artifices de la mise en scène…Son duo en forme d’affrontement avec Licinius au II est une véritable leçon de chant qui prend aux tripes.
Ève-Maud Hubeaux est également bien distribuée en Grande Vestale, même si son registre grave montre parfois des limites au regard de l’écriture du rôle. D’une très grande présence physique et vocale, elle écrase de son autorité le collège des Vestales et sait se sortir avec talent des ambiguïtés que la mise en scène impose à son personnage.
Cinna est confié à Julien Behr dont le timbre clair offre un contraste intéressant et très séduisant avec celui de Spyres. La voix est belle et l’aigu est très rayonnant. Très investi dans son personnage, sa projection est toutefois plus limitée que celle des autres artistes et se perd parfois un peu dans l’immensité de Bastille.
Le Licinius de Michael Spyres est une authentique réussite. Michael Spyres triomphe avec aisance des difficultés de l’écriture passant avec une grande aisance d’une déclamation impeccable à un romantisme éperdu et à des aigus superbes. La diction est irréprochable, la voix déliée, superbement projetée et le timbre d’une infinité de nuances d’une grande beauté. Ses interactions avec les autres artistes sont remarquables par l’intensité des échanges, que ce soit avec Cinna, avec le Grand Pontife ou avec Julia.
Elza van den Heever a repris le rôle de Julia qu’elle n’a pu assurer le soir de la première. Grande tragédienne, très applaudie au rideau, elle délivre une superbe prestation dans ce rôle écrasant. La diction est excellente même si elle souffre de la comparaison avec celle de Spyres. Le timbre est clair malgré une voix très sonore et imposante, et elle réussit à se saisir du redoutable « Toi que j’implore avec effroi » dans lequel elle fait étalage de moyens colossaux et est réellement saisissante.
Très sollicités par la partition, les Chœurs sont, comme d’habitude sous la direction de Ching-Lien Wu, impeccables de justesse et de présence sur le plateau.
Crédits photographiques : © Guergana Damianova-OnP
Programme et distribution :
Gaspare SPONTINI (1774-1851)
LA VESTALE
Opéra en trois actes
Livret en français d’Etienne de Jouy
Créé à Paris (Opéra), le 15 décembre 1807.
Julia : Elza van den Heever
Licinius : Michael Spyres
Cinna : Julien Behr
Le Pontife : Jean Teitgen
La Grande Vestale : Eve-Maud Hubeaux
Le chef des Aruspices, un Consul : Florent Mbia*
Mise en scène : Lydia Steier
Décors : Etienne Pluss
Costumes : Katharina Schlipf
Lumières : Valerio Tiberi
Vidéo : Etienne Guiol
Dramaturgie : Olaf A. Schmitt
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Cheffe des Chœurs : Ching-Lien Wu
Direction musicale : Bertrand de Billy