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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


2 octobre 2024 – L’Orontea (Cesti) au Teatro alla Scala (Milan)

Publié par Jean Luc sur 5 Octobre 2024, 19:17pm

Catégories : #Dive et divi, #Opera mis en scene

Œuvre parmi les plus populaires au XVIIème siècle, l’Orontea fut joué dans pratiquement toute l’Italie entre 1660 et 1680. Si nous nous situons aux débuts de l’opéra avec une œuvre faisant une part prééminente aux récitatifs, L’Orontea est émaillé d’airs qui ont fait son succès, notamment pour les voix féminines « Addio Corindo » (Silandra) « Intorno all'idol mio » (Orontea), et « Il mio ben dice ch'io speri » (Giacinta). Puis, partition perdue, l’opéra fut totalement oublié avant le milieu du XXème siècle où quatre manuscrits (dont la partition de Venise de 1666) sont retrouvés et donneront lieu à quelques reprises à partir de celle de Milan en 1961 avec Teresa Berganza.

Pietro Antonio Cesti est un moine franciscain qui, dérogeant à ses vœux monacaux (dont il sera relevé en 1659) compose nombre d’opéras qui connurent un vif succès. Après avoir causé du scandale en chantant sur scène dans la Giasone de Cavalli, Cesti devint maitre de chapelle de Ferdinand de Habsbourg à Inssbruck. En 1666, on le retrouve second maître de chapelle à la Cour de l’empereur Léopold Ier. La même année, l'opéra Orontea est repris au Teatro SS Giovanni e Paolo, à Venise. La vie et l’œuvre de Cesti se situent au cœur de l’évolution déterminante de l’opéra dans cette seconde moitié du XVIIème siècle, opéra qui quitte peu à peu le théâtre de cour pour les théâtres publics, à Venise en premier lieu. L’Orontea en est un exemple particulièrement intéressant. S’éloignant des références historiques ou mythologiques à visées plus ou moins hagiographiques, l’opéra se veut divertissement, centré sur la fugacité du sentiment amoureux, et son caractère protéiforme avec des personnages qui incarnent cette diversité : jouisseurs, volages et légers (Alidoro et Silandra) ou sérieux, fidèles et investis (Orontea et Corindo). Mais la plupart des personnages changent d’affection dès qu’un objet plus beau plus séduisant se présente à eux…. L’action est un constant imbroglio amoureux et de situations, jusqu’à l’inévitable « lieto finale ».

Au plan musical, cette reprise de Milan se veut un mix des différentes versions des partitions, dont aucune n’est complète, de façon à équilibrer l’ouvrage. Peu de coupures, si ce n’est le Prologue, totalement supprimé, et quelques ajouts de parties orchestrales empruntées à des compositeurs de la même époque pour accompagner les changements de décors.

Le livret situant l’action dans une antiquité non datée et de fantaisie, toute licence de transposition était de fait laissée au metteur en scène. Et Robert Carsen ne s’en prive pas, déplaçant l’action dans le monde des galeristes milanais. Orontea devient la puissante patronne d’une galerie dans laquelle les accrochages et les installations se succèdent. L’idée de Carsen fonctionne parfaitement et ne crée aucun décalage avec une action et un livret qu’elle respecte scrupuleusement, jusque dans les « tics »  du théâtre de l’époque : un Gelone ivre d’un bout à l’autre de la pièce, un page qui se rêve en grand guerrier, une femme mûre saisie d’un délire érotique, un précepteur moralisateur à outrance… La mise en scène réussit une caricature amusante et millimétrée de la faune des vernissages qui envahit à grand bruit et à grands gestes la Galerie Orontea. Les décors et costumes de Gideon Davey sont superbes, si l’on veut bien oublier l’excessivement étincelant et doré costume d’Alidoro en époux d’Orontea (allusion pharaonique ?) mais la vue du bureau d’Orontea sur le superbe quartier d’affaires de Milan est superbe.

L’opéra exige des protagonistes une technique du recitar cantando à toute épreuve et le livret, accentué par la mise en scène de Carsen exige d’eux de véritables talents d’acteurs capables de se saisir de ces changements d’affects permanents et rapides. Et la distribution est de ce point de vue absolument impeccable.

Stéphanie d’Oustrac est une Orontea d’une grande intensité dont la présence scénique ne se dément à aucun moment. Servie par un timbre rond et chaud, son interprétation qui culmine dans la grande scène de jalousie du II. Son « Intorno all'idol mio » est un grand moment : la voix fort bien projetée et d’une grande puissance sonore, se plie à d’incroyables modulations et lui permet d’incarner une Orontea altière aux accents quasi tragiques.

Pour ses débuts à la Scala, Carlo Vistoli remporte un très grand succès dans un Alidoro composé avec un soin de tous les instants. Egoïste, inconstant, opportuniste, souvent touchant de naïveté, son personnage est séduisant. Le timbre est subtilement coloré en fonction des affects, le chant toujours aussi élégant, la voix toujours aussi homogène avec ce quelque chose de naturel qui me touche tant. La technique du récitatif est superlative et sa capacité à varier l’expression est époustouflante, du lamento « Vieni, resta, no, sì ? », à l’aria “Il mondo così va” (dans laquelle, c’est un comble, il se lamente sur l’inconstance des femmes), en passant par les «Care note amorose » du II. Son Alidoro est magistral.

 

La Silandra de Francesca Pia Vitale, voix lumineuse et claire, est charmante, séductrice et volage à souhait. Son “Addio, Corindo, addio” est simplement parfait. Hugh Cutting, autre contreténor de la distribution est un partenaire idéal pour Silandra, ; la voix est souple, claire et très à l’aise dans le haut du registre. Sa partie dans le duo du I avec Silandra est un petit bijou.

En Gelonte, Luca Titotto, fait vibrer une belle voix de basse éméchée avec style, drôlerie et constance. Mirco Palazzi, autre basse, chante en contrepoint l’ennuyeux Creonte avec un style racé et élégant et une belle maitrise du récitatif. Sara Blanch est délicieuse en travesti (le valet Tibrino). Elle donne une grande intensité à ce rôle modeste et nous fait beaucoup sourire dans son air moqueur sur le maquillage, très réussi et très amusant. La vieille Aristea est interprétée par Marcela Rahal dont le timbre de mezzo-soprano se déploie avec aisance et qui assume jusqu’au bout son personnage burlesque et ridicule de veille femme saisie par le démon de midi. Maria Nazarova est également très remarquée en Giacinta/Ismero.

Dans la fosse, le travail de Giovanni Antonini est tout simplement remarquable. Très respectueux de ses chanteurs, il donne à la partition une élégance, une vivacité, une expressivité et une légèreté qui ne démentent à aucun moment.  Le continuo très étoffé (luths, un théorbe, deux clavecins, une harpe, une doulciane, une viole de gambe, un violoncelle et un lirone) soutient la part très importante des récitatifs mais ne génère pas d’ennui ni de sensation de longueurs. Dans les ensembles instrumentaux, les couleurs sont riches et se déploient sur une ligne vive et enjouée.

Cette production milanaise, chaleureusement applaudie, est un moment délicieux, léger et au cours duquel le temps file sans qu’on y prenne garde. Une belle et grande réussite.

 

Crédits photos : © Vito Lorusso

 

Programme et distribution :

 

L’Orontea, dramma per musica en un prologue et trois actes de Antonio Cesti (1623-1669).

Livret en italien de Giacinto Andrea Cicognini et Giovanni Filippo Apolloni

Créé le 19 février 1656 à Innsbruck.

 

Orontea : Stéphanie d’Oustrac

Creonte : Mirco Palazzi

Silandra : Francesca Pia Vitale

Corindo : Hugh Cutting

Gelone : Luca Tittoto

Tibrino : Sara Blanch

Aristea : Marcela Rahal

Alidoro : Carlo Vistoli

Giacinta : Maria Nazarova

 

Mise en scène : Robert Carsen

Décors et costumes : Gideon Davey

Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet

Orchestra del Teatro alla Scala

Direction musicale : Giovanni Antonini

 

 

 

 

 

 

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