Le 20 août 1828, l’Opera de Paris (salle Le Peletier) voit la création (avec Nourrit et Levasseur) du Comte Ory, opéra en deux actes sur un livret de Scribe, qui connaîtra un grand succès tout au long du XIXème siècle, avant de connaitre une éclipse pendant la 1ère moitié du XXème siècle, et de regagner le répertoire à partir de la fin des années 1950. Lors de la création, Rossini est au sommet de sa carrière et règne sans partage sur la scène lyrique parisienne. L’année suivante, il posera les bases du grand opéra à la française avec Guillaume Tell puis, deux ans plus tard, il cessera définitivement de composer des opéras, alors qu’il n’a que 38 ans et qu’il est très exactement au milieu de sa vie.
L’œuvre reprend très largement des numéros d’œuvres antérieures, tout particulièrement du Voyage à Reims. Si le 1er acte est caricatural de cette technique de réutilisation (seul le duo Isolier-Ory constitue un numéro original, tout le reste provenant d’œuvres antérieures), le second acte est plus inventif avec le superbe trio de la séduction et seulement 2 numéros repris d’autres opéras. Le Comte Ory est de fait un ouvrage hybride, à la frontière de l’opéra à la française (dont il n’a pas les dialogues intercalés) et de l’opera buffa (dont il n’a pas les récitatifs secco). C’est probablement cet habile mélange des deux genres, qui annonce le Grand Opéra à la française, l’incroyable dynamisme qui habite la partition et la grande virtuosité exigée des interprètes qui explique le succès de cette œuvre hybride.
L’argument est léger et assez faible, bien dans l’esprit du vaudeville auquel il emprunte le goût du quiproquo et de la grivoiserie. Il narre les efforts infructueux d’un jeune aristocrate libertin pour séduire une jeune fille vertueuse. En l’absence du Comte de Formoutiers, parti aux croisades, le Comte Ory tente de séduire sa sœur, Adèle, restée seule au château. Au Ier acte, il fera ses tentatives de séduction, sous le déguisement d’un ermite et sera découvert par son précepteur qui fera échouer la manœuvre. A l’acte II, il réussira à s’introduire dans le château déguisé en pèlerine surprise par la tempête, parviendra jusqu’à la chambre d’Adèle mais se verra privé de succès par le retour soudain des croisés.
La direction de Patrick Lange est précise et enthousiaste. Elle communique une belle énergie à l’Orchestre de Chambre de Paris mais on a connu des interprétations de Rossini plus inspirées, plus subtiles et surtout plus attentives aux voix. Ici, les chanteurs sont submergés par une pâte sonore qui a certes le plus souvent de belles couleurs mais qui aurait gagné à moins de puissance, à moins de précipitation et à plus d’équilibre. Ce défaut d’équilibre ne se corrige pas au long de la soirée, ajoutant à l’écriture complexe de la plupart des rôles une difficulté supplémentaire pour les chanteurs, de surcroît privés de la plupart des reprises, choix incongru pour ne pas dire incohérent pour ce type d’œuvre.
Dans le rôle du Comte, écrit pour Nourrit à une hauteur extravagante (pas moins de 1 contre-ré, 5 contre ut dièse et une bonne dizaine de contre ut), Cyrille Dubois affronte sa partie avec enthousiasme et courage, sans tricherie. Usant aussi avec efficacité de la voix mixte et du falsetto, sa diction est un modèle du genre et sa composition d’un Comte Ory un peu sournois mais surtout très beta est souvent irrésistible. La voix domine sans peine un orchestre excessif mais la fatigue se fait vite sentir et si les couleurs sont préservées, les tenus sont écourtés. Le duo avec la Comtesse au II et le trio conclusif sont de vraies réussites mais dans l’ensemble on ne peut s’empêcher de se demander si le ténor est bien fait pour ce rôle et si ce Comte Ory ne constitue pas une prise de risques excessive.
Aucun doute en revanche concernant Sara Blanch qui, dès son air d’entrée s’impose en Adèle. Manifestement très à l’aise, d’une élégance rare vis-à-vis de ses partenaires parfois en difficultés, elle maitrise parfaitement le personnage et sa partition. La voix est charnue dans sa légèreté, suffisamment sonore dans les conditions difficiles déjà évoquées, l’aigu est aisé, facile, rayonnant, et la virtuosité remarquable, ce qui nous fait d’autant plus regretter les coupures de reprises…. Le style belcantiste est irréprochable, et la façon dont elle surmonte sa partition avec beaucoup d’aisance et de naturel est tout à fait remarquable. L’ovation qu’elle reçoit aux saluts est tout à fait méritée.
Ambroisine Bré est moins à l’aise, notamment à cause d’une puissance vocale limitée face au déluge orchestral qui lui est imposé. Sa prestation en souffre indubitablement et est assez décevante même si le public l’a chaleureusement applaudie. Monica Bacelli est également décevante en Ragonde, la puissance orchestrale l’obligeant à des efforts qui mettent à nu un vibrato excessif et mal maitrisé. Nicola Ulivieri compose son Gouverneur avec toute l’autorité un brin ridicule et l’ironie requises. La voix est très belle et la projection lui permet de faire face à l’orchestre mais il est en difficulté avec les notes les plus graves de sa partie. Marielou Jacquard tire bien son épingle du jeu dans le rôle d’Alice qu’elle caractérise avec aisance.
Sergio Villegas-Galvain est des plus convaincants en Raimbaud. Certes il est lui aussi mis en difficultés à plusieurs reprises par la masse sonore qu’inflige Patrick Lange mais il réussit quand même à nous donner à entendre son très beau timbre et une aisance dans le style et face aux difficultés de la partition qui nous confirme dans le sentiment que l’on tient là un excellent baryton pour ce répertoire.
Saluons enfin la belle prestation des chœurs qui enchainent avec un bonheur égal les changements de style de leur partie.
Au total une soirée en demi-teinte à laquelle le public a néanmoins réservé un accueil des plus chaleureux.
Crédits photographiques : © Jean-Yves Grandin
Programme et distribution :
Le Comte Ory, opéra en deux acte de Gioacchino Rossini (1792-1868)
Livret en français d’Eugène Scribe et Charles-Gaspard Deleutre-Poirson
Créé à l’Opéra de Paris (salle Le Pelletier) le 20 août 1828
Le Comte Ory : Cyrille Dubois
La Comtesse Adèle : Sara Blanch
Isolier : Ambroisine Bré
Ragonde : Monica Bacelli
Le Gouverneur : Nicola Ulivieri
Raimbaud : Sergio Villegas-Galvain
Alice : Marielou Jacquard
Trois Coryphées : Lucas Pauchet, Violette Clapeyron, Pierre Barret-Mémy
Orchestre de chambre de Paris
Chœur de Chambre de Rouen et Chœur Sorbonne Université, direction Frédéric Pineau
Direction musicale : Patrick Lange