L’argument originel de cet opéra se rapportait à Fernando, re di Castiglia et dut, pour des raisons politiques, être transposé par Haendel dans un royaume perse imaginaire à une époque indéterminée. La création de Sosarme, re di Media, qui fut composé en réaction à l’échec rencontré par Ezio, fut un réel succès avec onze représentations lors de la 1ère saison. Repris, dans une version remaniée en 1734, Sosarme sombra ensuite dans l’oubli jusqu’au milieu du XXème siècle et sa reprise par Alfred Deller en 1955.
L’histoire est quelque peu distendue et emberlificotée. Le roi Haliate de Lydie assiège Sardes, où se trouvent son fils rebelle Melo, sa fille Elmira et sa femme Erenice. Melo contrattaque malgré les supplications de sa mère et de sa sœur. Pendant qu’Argone, fils illégitime d’Haliate refuse de se faire reconnaitre comme héritier, Sosarme, fiancé à Elmira, tente de jouer les médiateurs mais Haliate est déterminé à punir Melo. Après la bataille, alors qu’Elmira, croyant Sosarme mort, se désespère, un nouveau rival d’Haliate survient en la personne d’Altomaro. Sosarme, qui n’est que blessé se réfugie auprès d’Elmira, alors qu’Haliate défie Melo en combat singulier. Alors qu’ils sont prêts à s’affronter ils apprennent coup sur coup la trahison d’Altomaro et son suicide. Père et fils se réconcilient et Sosarme épouse Elmira.
La construction de l’action, qui repose sur les personnages secondaires, compose un livret un peu inhabituel. Haendel signe un grand nombre de très beaux airs pour chacun des personnages de l’opéra et deux superbes duos entre Sosarme et Elmira.
Le rôle de Sosarme est confié à Rémy Brès-Feuillet qui y déploie avec bonheur son timbre très séduisant qui s’appuie sur une technique remarquable. La musicalité de cette voix est tout à fait exceptionnelle et la maitrise du style, des nuances et des ornements est irréprochable. On tient là un contreténor de talent, en pleine progression.
J’ai plus de réserves sur l’Elmira de Sarah Charles très investie dans son personnage mais dont la voix m’a semblé encore un peu jeune, accusant des sonorités parfois un peu acides et manquant de subtilité dans la gestion de l’émission. Elle réussit toutefois parfaitement à convoquer l’émotion dans ses duos avec Sosarme.
Eleonore Pancrazi est éblouissante en Erenice, montrant un sens dramatique à toute épreuve et parfaitement articulé avec un chant dont la technique remarquable se fait oublier au profit d’un timbre qui sait se plier aux nombreuses nuances du personnage. « Vado al campo » et « Cuor di madre » sont des moments particulièrement intenses de la soirée.
Giacomo Nanni est un impressionnant Altomaro dont il possède toutes les notes qu’il distille avec un plaisir évident. Le timbre est somptueux et le vertigineux « Fra l’ombre » est interprété sans afféterie et génère une émotion palpable dans la salle.
Nicolo Balducci est tout simplement étincelant en Milo. C’est un des rares sopranistes à privilégier l’interprétation, les nuances et l’émotion aux excès de la pyrotechnie. Le timbre est enjôleur, la technique très assurée, les vocalises éblouissantes et les ornements judicieusement choisis. L’investissement dans le personnage est total et son Milo est une grande réussite.
Logan Lopez Gonzalez est beaucoup moins à l’aise, malgré une très jolie voix. Distribué dans un rôle qui lui convient moins, il reste investi et fait de son mieux mais semble parfois en difficulté, perdant la précision des vocalises et recourant à des attaques souvent floues.
Marco Angioloni descend régulièrement du podium pour interpréter le rôle d’Haliate dans lequel son timbre ensoleillé est particulièrement mis en valeur, et dont l’écriture semble parfaitement convenir à sa tessiture. L’engagement dramatique est très important et d’autant plus remarquable qu’il continue à diriger sa formation pendant ses airs.
Et précisément, cette direction est particulièrement remarquable et constitue un des ingrédients essentiels du succès de cette soirée. On y retrouve toutes les qualités que j’avais déjà soulignées dans le compte rendu du Poro donné dans la salle des Croisades l’an dernier (VOIR ICI). Dirigeant non pas son ensemble Il Groviglio, comme dans Poro, mais l’orchestre de l’Opéra royal, Marco Angioloni est totalement investi dans une direction fluide qui met en exergue l’élégance de la partition de Haendel et qui cisèle la prestation d’un Orchestre de l’Opéra royal qui le suit avec enthousiasme et livre sous sa direction des sonorités et des nuances somptueuses. Soutenu par le talentueux continuo et notamment par Nora Darganzali au clavecin et Léa Masson au théorbe, Marco Angioloni réussit une très belle résurrection de cet ouvrage injustement oublié.
Le public a marqué sa satisfaction en réservant un très gros succès à cette soirée. On attend maintenant la commercialisation de l’enregistrement annoncé de cette production.
Programme et distribution :
SOSARME, RE DI MEDIA, dramma per musica en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Livret anonyme en italien, d’après Antonio Salvi (Dionisio, re di Portogallo)
Créé le 15 février 1732 à Londres (King’s Theatre, Haymarket)
Sosarme : Rémy Brès-Feuillet
Elmira : Sarah Charles
Haliate : Marco Angioloni
Erenice : Éléonore Pancrazi
Melo : Nicolò Balducci
Argone : Logan Lopez Gonzalez
Altomaro : Giacomo Nanni
Orchestre de l’Opéra Royal
Direction musicale : Marco Angioloni