L’Or Du Rhin constitue le prologue de « L’Anneau du Nibelung, Festival scénique en trois Journées et un Prologue » et fut, chronologiquement, le dernier opus écrit par Wagner de sa Tétralogie. Dans l’univers de cette œuvre gigantesque dans laquelle les Dieux, les Géants et les Nains se mêlent aux humains, l’Or du Rhin pose les bases de cet univers mythique et introduit nombre des thèmes musicaux qui irriguent l’ensemble de la Tétralogie.
L’argument repose sur les légendes nordiques. A une époque légendaire, trois Ondines jouent au fond du Rhin avec l’Or du fleuve. Le nibelung Alberich s’en empare après avoir renoncé à l’amour et se fait forger un anneau qui lui assure un pouvoir total. Chez les Dieux, Wotan, qui a accepté de livrer Freia aux Géants en paiement du château qu’ils ont construit pour lui, doit affronter une rébellion. Finalement, il leur cède à la place l’or du Rhin, qu’il reprend à Alberich, ainsi que l’anneau. Alberich maudit alors tous les possesseurs de l’anneau : le géant Fafner tue son comparse Fasolt pour s’emparer de l’anneau. Les Dieux, qui avec Freia ont retrouvé la jeunesse éternelle, se réjouissent et montent au Walhalla.
A partir de cet argument, Calixto Bieito construit une mise en scène à la laideur semble-t ’il assumée. Si la direction d’acteurs est précise, la narration est complexe et, le plus souvent illisible. Visuellement, le spectacle est pauvre, très pauvre. On comprend bien l’allusion au monde du numérique et au pouvoir qu’il prend sur le politique (incarné par les Dieux) et le tableau du Nibelheim est le plus réussi de cette production décevante. Les décors de Rebecca Ringst sont assez laids et se réduisent à un canapé, sur lequel les Dieux s’alignent de façon assez ridicule, un rideau de plastique un peu sonore représentant le Rhin et un mur métallique fort bruyant voulant être, je pense, une sorte de data center. Les costumes sont laids, d’une banalité consternante qui nuit à la caractérisation des personnages et à leur identification dans une salle aussi grande que celle de Bastille.
Les personnages voulus par Calixto Bieito sont caricaturaux : les Dieux sont des jouisseurs placides et inutiles, Freia et Donner se trainent au sol (pourquoi donc ?), les Géants sont des méchants capitalistes échappés de Dallas et les deux seuls Nibelungen que Bieito daigne nous présenter sont des savants fous empêtrés dans les câbles du numérique et du transhumanisme…
Dans la fosse, ce n’est pas non plus un grand soir. La puissance est absente d’une direction, certes attentive à ses chanteurs, mais trop méticuleuse, manquant de souffle. On en oublierait presque que ce Prologue de la Tétralogie est aussi l’œuvre la moins « chantante » de la Tétralogie, sans grand solo vocal, et qu’elle appelle une mise en avant de l’orchestre et de ses sonorités. Et là, c’est raté, même si la soirée se déroule agréablement pour l’oreille.
Le Wotan de Iain Paterson appelé pour remplacer Ludovic Tézier, est affligé d’un vibrato lourd et délivre quelques notes approximatives. La projection est désormais limitée et tout ceci donne d’autant plus de relief à la Fricka de Eve-Maud Hubeaux, en pleine possession de ses moyens vocaux et très à son aise dans la composition scénique de sa déesse, femme de pouvoir à l’érotisme à fleur de peau.
C’est l’Alberich de Brian Mulligan qui est une des compositions les plus réussies. La voix est claire, puissante, bien projetée et sert un personnage veule et répugnant, plus dégoutant que noir. Gerhard Siegel, en Mime lui donne une réplique intéressante, personnage bien chantant et tout en soumission. Le Loge de Simon O’Neill est également très réussi, personnage sournois, opportuniste et cruel conduit d’une voix percutante. Le Fasolt de Kwangchul Youn est tout à fait captivant, la rondeur des graves parfaitement émis donnant beaucoup de noblesse, peut-être un peu trop, à son personnage.
La Freia de Eliza Boom, très mal servie par la mise en scène, semble aussi en méforme avec une voix très peu stable, au vibrato large et envahissant. Même si quelques notes graves ont semblé lui échapper, Marie Nicole Lemieux est une Erda tout à fait convaincante. Les trois Ondines (Margarita Polonskaya, Isabel Signoret, Katharina Magiera) sont impeccables et on retient en particulier la superbe voix de Isabel Signoret qui donne beaucoup d’épaisseur au rôle de Wellgunde.
A l’image de cette représentation, le public a réservé un accueil contrasté aux artistes lors des saluts. Beaucoup ont noté que Calixto Bieito n’a pas jugé bon de venir sur scène. Par crainte de la réaction du public ou par conformité à la tradition qui voudrait que le metteur en scène ne se présente qu’à la fin de la Tétralogie ?
Crédits photographiques : © Herwig Prammer / OnP
Programme et distribution :
L’OR DU RHIN, prologue en un acte de la tétralogie « Der Ring des Nibelungen » de Richard Wagner (1813-1883)
Livret en allemand de Richard Wagner
Créé le 22 septembre 1869 à Munich.
Wotan : Iain Paterson
Alberich : Brian Mulligan
Loge : Simon O'Neill
Fricka : Eve-Maud Hubeaux
Erda : Marie-Nicole Lemieux
Mime : Gerhard Siegel
Fasolt : Kwangchul Youn
Fafner : Mika Kares
Froh : Matthew Cairns
Freia : Eliza Boom
Woglinde : Margarita Polonskaya
Wellgunde : Isabel Signoret
Flosshilde : Katharina Magiera
Donner : Florent Mbia
Mise en scène : Calixto Bieito
Décors : Rebecca Ringst
Costumes : Ingo Krügler
Lumières : Michael Bauer
Vidéo : Sarah Derendinger
Dramaturgie : Bettina Auer
Orchestre de l’Opéra national de Paris,
Direction musicale : Pablo Heras-Casado