On s’accorde généralement à considérer que Semele a été écrit comme un opéra destiné à la scène et que ce n’est que pour des raisons d’opportunité que Haendel fit créer l’ouvrage comme un oratorio. Après 1740, l’opéra italien est en effet passé de mode à Londres et la création intervient en outre pendant le Carême. Cette ambiguïté originelle nuit beaucoup à l’œuvre rejetée à la fois par les amateurs d’opéra en raison du non-conformisme de sa structure et de son écriture et par les défenseurs de l’oratorio à cause du sujet mythologique (et donc profane) et de son érotisme. La carrière de Semele s’acheva donc rapidement : quatre concerts en 1744 et un en 1756. Il faudra attendre le XXème siècle, surtout sa deuxième moitié, pour que cette œuvre revive, sous la forme d’opéra anglais.
Fiancée malgré elle à Athamas, Sémélé est amoureuse de Jupiter alors que sa sœur Ino est elle amoureuse d’Athamas. Jupiter empêchera le mariage, et enlèvera Sémélé, sous la forme d’un aigle. Junon se lance à la poursuite de Jupiter et de Sémélé, et sollicite l’aide de Somnus pour vaincre les dragons qui protègent le couple et abuser Jupiter. Rejoignant Sémélé sous la forme d’Ino, Junon convainc celle-ci de réclamer son immortalité à Jupiter en lui demandant de lui apparaitre dans tout son éclat divin. Jupiter revient émoustillé mais il est repoussé par Sémélé. Il lui promet alors de satisfaire ses moindres désirs. Bien qu’il essaie de la convaincre de renoncer, Sémélé ne cède pas sur sa demande que Jupiter se résout à satisfaire, provoquant la mort de la belle. Athamas décide alors d’épouser Ino, et Apollon annonce qu’un nouveau dieu va naître des cendres de Sémélé, Bacchus.
La mise en scène d’Olivier Mears est plutôt une réussite. Transposée vers les années 1960-1970 dans un univers bourgeois dans lequel Jupiter et Junon sont les patrons d’un hôtel, régnant sur un nombreux personnel qui est composé de tous les autres personnages. La mise en scène est organisée autour d’une cheminée qui devient l’élément central du spectacle : l’histoire de Sémélé devient un maillon d’une boucle sans fin dans laquelle les conquêtes-victimes de Jupiter, dieu dominateur et dépourvu d’affect, sont calcinées. Au côté de ce pater familias régnant sans partage sur son domaine, Junon devient une épouse jalouse et médiocre, mais tout autant tyrannique et fondamentalement perverse. De cette mise en scène qui fonctionne extrêmement bien, on se doit de retenir une direction d’acteurs millimétrée qui permet à la narration d’être parfaitement intelligible et à laquelle tous les chanteurs se plient avec une réelle intelligence théâtrale.
Pretty Yende est une Sémélé touchante et vocalement impressionnante. Son jeu est tout à fait remarquable et la technique belcantiste fait merveille dans ce rôle et ce répertoire dans lequel elle débute. Après un «O sleep, why dost thou leave me» qui tutoie le sublime et semble se jouer d’une partition difficile, avec notamment des da capo très ornés et inspirés, par exemple dans «Endless pleasure, endless love», «Myself I shall adore» ou dans «I’ll take no less», même si quelques acrobaties certes pyrotechniques sont toutefois d’une justesse un rien approximative.
Ben Bliss est tout aussi intéressant en Jupiter, qu’il compose en séducteur glacé avec beaucoup de conviction. Le timbre est chaud et agréable, l’émission puissante et la technique d’une sureté sans faille.
Junon est interprétée par Alice Coote qui se régale manifestement de son rôle d’ogresse dominatrice et un tantinet grotesque. La voix est superbe et la technique impeccable. Si les graves sont vraiment très beaux, l’aigu tend à être un peu tiré et le chant manque un peu d’homogénéité avec des passages de registre un peu brutaux. Il n’en demeure pas moins qu’elle délivre le célèbre « Hence, hence, Iris, hence away » avec toute la rage et la colère nécessaires.
Chargé des deux rôles de Cadmus et de Somnus, Brindley Sherratt s’en tire à merveille, composant en particulier un Somnus d’anthologie. Le timbre de basse est somptueux, la ligne de chant quasi-parfaite.
L’Ino de Niamh O’Sullivan m’a semblé un peu en difficulté au début de la représentation mais les difficultés s’estompent rapidement et son duo « You’ve undone me » avec Athamas, tous deux plein d’aigreur et de ressentiment, est tout à fait impressionnant.
Carlo Vistoli est un Athamas de grand luxe. Il parvient à incarner ce personnage un peu négligé par le livret et dont il donne à voir les hésitations plus que la légèreté. L’énergie qu’il met dans l’incarnation de son personnage donne à celui-ci un relief théâtral inhabituel mais bienvenu. Quant au chant, on ne peut qu’accumuler les superlatifs : la technique est d’une sureté à toute épreuve, les ornements et les da capo sont d’une sensibilité et d’une pureté stylistique impressionnantes et le très bel air final («Despair no more will wound me » pour une fois maintenu) est interprété de façon saisissante et astucieuse : si le chant se plie au sens du texte, exprimant le bonheur et l’illumination du divin, l’intonation et le jeu de scène sont eux aigrement moqueurs et ironiques envers le dieu.
Marianna Hovanisyan est une jolie découverte en Iris même si le rôle ne lui permet pas vraiment de faire valoir son timbre délicat et sa technique qui semble déjà très solide.
L’orchestre et le chœur du Concert d’Astrée sont pleins d’énergie et de précision. La direction inspirée d’Emmanuelle Haïm donne à la représentation une clarté, une élégance et une efficacité qui sont sa marque dans ses interprétations de Haendel. L’intervention de Jupiter à l’acte I est particulièrement réussie tant elle est équilibrée entre l’orchestre et les effets visuels et sonores de scène.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet
Programme et distribution :
SEMELE, Oratorio en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Livret en anglais, auteur inconnu d’après William Congreve
Créé le 10 février 1744 à Londres (Royal Theatre, Covent Garden)
Semele : Pretty Yende
Jupiter : Ben Bliss
Junon : Alice Coote
Cadmus / Somnus : Brindley Sherratt
Ino : Niamh O’Sullivan
Athamas : Carlo Vistoli
Iris : Marianna Hovanisyan
Comédiens : Lauren Bridle, Bridget Lappin, Bailey Pepper, David Rawlins
Figurants enfants : Jade Agrabi, Mathilda Game, Apolline Pouchard
Mise en scène : Oliver Mears
Scénographie et costumes : Annemarie Woods
Chorégraphie : Sarah Fahie
Lumières : Fabiana Piccioli
Orchestre Le Concert d’Astrée
Chœur Le Concert d’Astrée, direction Richard Wilberforce
Direction musicale : Emmanuelle Haïm