Directement inspirée de la tragédie d’Euripide, Médée ne rencontra pas le succès lors de sa création. Elle disparut des scènes parisiennes après 39 représentations (31 en 1797 et 8 en 1798) et n’y reparut pas avant la fin du XXème siècle, encore fut-ce dans sa version italienne… C’est via l’Allemagne que cet opéra survécut au long du XIXème siècle, en langue allemande et avec des récitatifs réécrits par un expert de Wagner, avant que cette version hybride retrouve la notoriété grâce à sa création en italien à La Scala au début du XXème siècle. C’est cette version, qui fut régulièrement interprétée par Maria Callas, qui est aujourd’hui la plus communément représentée.
La série de représentations de l’opéra-comique est donc un retour à la version originale de Médée, sous forme d’opéra-comique et qui reprend le texte (néanmoins raccourci) en alexandrins écrits par François-Benoît Hoffman à la fin du XVIIIème siècle. Cette version française n’avait été donnée qu’en 2012 au Théâtre des Champs Elysées mais avec des dialogues réécrits et modernisés (VOIR ICI).
La mise en scène de Marie-Eve Signeyrole a l’avantage d’être très lisible et de ne pas trop trahir les intentions du compositeur. Elle pêche toutefois par une surabondance du propos qui in fine nuit à la dimension dramatique de l’œuvre. Celle-ci en effet se rattache à la tragédie classique et suppose, du moins de mon point de vue, plus de sobriété. L’insistance du propos féministe, de la dénonciation de la domination viriliste et patriarcale, de la mise en évidence de l’exclusion de l’étrangère est d’autant plus superflue que le livret d’Hoffman est parfaitement clair sur ces sujets. A quoi bon ces verbatim de mères infanticides dits par Caroline Frossard, qui dénotent avec l’élégance des alexandrins d’Hoffman ? A quoi bon ces scènes de viol qui distraient le spectateur de l’écoute ? A quoi bon ces bruits qui soulignent les images vidéo et parasitent la musique ? … Malgré cette logorrhée un rien irritante, on doit souligner que Marie-Eve Signeyrole signe une direction d’acteurs et une caractérisation des personnages qui sont, quant à elles, tout à fait remarquables.
La direction de Laurence Equilbey donne à cette œuvre, qu’elle resitue parfaitement dans la mouvance de la tragédie lyrique à la française, toute sa dimension. Cette direction qui privilégie très clairement la progression dramatique et la nervosité et qui bannit l’alanguissement mélodique que suscite parfois les versions italiennes, souligne la beauté et la force de cette partition. L’Insula Orchestra se pare, sous sa baguette, de beaucoup de couleurs et, dans une exécution nerveuse et très équilibrée, contribue superbement au drame. L’ouverture et les préludes instrumentaux des actes II et III sont puissants, profondément touchants, comme est bouleversant le finale déchaîné.
Joyce El-Khoury est une Médée à la diction impeccable. La voix est puissante et déploie de très belles couleurs, notamment dans un medium somptueux. Le timbre comporte une forme de raucité qui convient très bien à son personnage même si la vision victimaire imposée par la mise en scène bride une férocité et une sauvagerie qu’on sent souvent prêtes à se déchaîner, ce que la soprano ne pourra réellement faire qu’à l’acte III. Annoncée souffrante, c’est probablement la cause de ces aigus parfois un peu stridents et un peu tirés. Au total, c’est toutefois une grande Médée, ovationnée au rideau, que l’on a entendu ce soir et son affrontement avec Jason revêt une dimension tragique palpitante.
Également annoncé souffrant, Julien Behr est chargé d’incarner un Jason antipathique dont la mise en scène accuse encore la méchanceté et la violence. Chez lui aussi, la diction est impeccable et il aborde son personnage avec une vaillance assez impressionnante. Le timbre est rond et la voix reste homogène malgré les sollicitations que lui impose l’écriture du rôle. C’est une belle interprétation de Jason que livre Julien Behr ; on regrettera simplement que ce personnage soit rendu de façon très univoque, monolithique, probablement du fait des conceptions de mise en scène (les hommes sont tous des salauds) et, en partie aussi, en raison de la méforme du chanteur.
Encore une malade annoncée avec Lila Dufy qui est cependant beaucoup moins convaincante que les titulaires des deux rôles principaux. La diction est souvent peu compréhensible, les intentions du chant peu claires et la voix peine à sortir d’un medium, certes agréable, mais qui ne suffit pas à caractériser le personnage faute aussi d’un timbre qui manque de légèreté pour incarner la jeune princesse.
Marie-Andrée Bouchard Lesieur ne fait qu’une bouchée du rôle de Néris. Son interprétation du célèbre « Ah nos peines sont communes …. Je vous suivrai jusqu’à la mort », accompagné au basson, est saluée par un torrent d’applaudissements mérités. Si le timbre n’est pas d’un caractère exceptionnel pour une mezzo, la diction, le phrasé, la longueur de souffle, les couleurs qu’elle apporte sont remarquables. L’actrice est tout aussi superbe, captant les regards à chacune de ses interventions.
Le Créon d’Edwin Crossley-Mercer est en tous points remarquable. La chaude et très belle voix de basse est parfaitement projetée et se plie aux fluctuations d’humeurs du personnage (un salaud harceleur lui aussi) qui peut être aussi royal que vulgaire et cinglant, aussi dominateur que pathétique. La diction et le phrasé sont impeccables et son affrontement avec Médée au II est un des sommets de la soirée.
Acteur important de la tragédie, le chœur Accentus est superbe de précision et d’homogénéité, jouant ses rôles avec aisance et implication.
Au total, le public a applaudi de façon très appuyée cette belle représentation.
Crédits photographiques : © Stefan Brion
Programme et distribution :
MEDEE, opéra-comique en trois actes de Luigi Cherubini (1760-1842)
Livret en français de François-Benoit Hoffman
Créé le 13 mars 1797 à Paris (théâtre Feydeau)
Médée : Joyce El-Khoury
Jason : Julien Behr
Créon : Edwin Crossley-Mercer
Dircé : Lila Dufy
Néris : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Suivantes de Dircé : Michèle Bréant et Fanny Soyer
Comédienne : Caroline Frossard
Figurantes : Inès Dhahbi, Sira Lenoble N' Diaye, Lisa Razniewski et Mirabela Vian
Enfants : Inès Emara, Félix Lavoix Donadieu
Mise en scène, conception et réalisation vidéo : Marie-Ève Signeyrole
Décors : Fabien Teigné
Costumes : Yashi
Lumières : Philippe Berthomé
Post-production vidéo : Artis Dzērve
Vidéo et cadrage au plateau : Céline Baril
Dramaturgie : Louis Geisler
Chœur Accentus, chef de chœur Christophe Grapperon
Orchestre Insula Orchestra
Direction musicale : Laurence Equilbey