Le spectacle, intitulé « Suonno 'E Fuoco », est un concert piano et voix dédié à la musique napolitaine du XVIIIème au XXème siècle, qui a pour objectif de mettre en lumière l'influence profonde que cette musique a eu sur les plus grands compositeurs d'opéra italiens tels que Rossini, Donizetti, Bellini, ainsi que sur la naissance du genre de la chanson. Habilement composé, le programme mêle ainsi des œuvres de compositeurs du répertoire (Bellini, Donizetti, Rossini, Tosti…) et de la musique populaire napolitaine, en évitant soigneusement les « musts » du genre, tel « O sole mio », et nous invitant ainsi à la découverte et à la surprise. C’est la pianiste Natallia Yeliseyeva qui accompagne avec délicatesse ce programme, dans lequel s’insèrent des pages pour piano seul, extraites des Soirées de Pausilippe de Sigismund Thalberg, œuvre écrite en hommage à Rossini.
L’acoustique du lieu (le temple de l’Église évangélique de Paris-Luxembourg) offre un écrin intéressant à la voix de ténor, même si elle se prête moins au piano, et permet à Nile Senatore de nous embarquer sans faillir dans le voyage qu’il propose. Engagé, très convaincant dans l’expressivité, le ténor prend un plaisir évident à partager avec son public « l’âme napolitaine » qu’il défend et illustre avec bonheur. Le timbre est chaud, rond, presque suave et sait se faire caressant comme menaçant. La voix est sonore et très bien projetée. La technique est sûre et déjà très mûre. La voix mixte est superbement maitrisée, même si j’aurais personnellement apprécié que Nile Senatore y recoure moins souvent et utilise davantage des aigus de poitrine dont il dispose à l’évidence, comme l’a montré par exemple le « Core ‘ngrato » ou le « Furtiva Lagrima » donné en bis. Mais ce sont probablement des questions de choix esthétique et musical. Les œuvres présentées permettent à Nile Senatore de faire montre de ses grandes qualités vocales : une remarquable capacité à moduler son chant (bouleversants « Lacreme napulitane » et « Lurdema tarantella »), à apporter des nuances (« Passione »), un medium superbe (« Santa Lucia luntana »), un messa di voce parfaitement géré (« La conocchia »), une agilité certaine (« La danza »). Seul le Bolero de Rossini m’a semblé un peu en dessous du reste du programme, l’écriture plus centrale mettant un peu à mal l’homogénéité de l’interprétation. Et pour conclure, en forme de clin d’œil aux envies d’évasion des parisiens pour Naples, un « Gare de Lyon » de Barbara superbement chanté dans un français impeccable qui nous avait déjà séduit dans la déclamation des quelques vers de Musset.
Pari totalement gagné pour Nile Senatore qui non seulement nous a offert un beau voyage dans l’âme napolitaine mais a su mettre en évidence les liens de filiation qui désormais nous semblent évidents entre la musique populaire de Naples et l’opéra du « grand répertoire ».
C’est avec beaucoup d’enthousiasme que le public a salué les deux interprètes à l’issue de ce beau récital. Nile Senatore a annoncé un récital de belcanto à Vichy en octobre prochain, dont on espère qu’on pourra également l’entendre à Paris.
Crédits photographiques : (c) Léna Pinon-Lang
Programme et distribution :
SUONNO ‘E FUOCO
Nile Senatore , chant
Natalya Yeliseyeva, piano
“Si comme a nu ciurillo” (Tu es comme une fleur)
Sigismund Thalberg (1812-1871)
“Les soirée de Pausilippe, Hommage à Rossini: 24 Pensées musicales” n.V Tempo di Tarantella
Vincenzo Bellini (1801-1835)
« Vanne o rosa fortunata »
Saverio Mercadante (1795-1870)
« La rosa »
Francesco Paolo Tosti (1846-1916)
« A vucchella »
“Tutto è passato…” (Tout est passé...)
Sigismund Thalberg
ibidem n.XXI Allegretto moderato
Francesco Bongiovanni (1872-1940)
« Lacreme napulitane »
E. A. Mario (1884-1961)
« Santa Lucia luntana »
Salvatore Cardillo (1874-1947)
« Core ’ngrato »
“Fenesta mia” (Ô fenêtre chérie)
Sigismind Thalberg
ibidem n.XIX Molto vivace
Gaetano. Donizetti (1797-1848)
« La conocchia »
Anonyme
« La nova gelosia »
V. Bellini (attribué)
« Fenesta ca lucive », suite à « Ah non credea mirarti » de « La Sonnambula »
“Jammo, abballa!” (Allez, danse !)
Sigismund Thalberg
ibidem n.VIII Presto
Gioacchino Rossini
La danza
Bolero
Ernesto Tagliaferri (1889-1937)
L'urdema tarantella
“Te sonno, te penso, te chiammo” (Je te rêve, je te pense, je t’appelle)
Sigismund Thalberg
ibidem n.XVIII Moderato
Mario Pasquale Costa (1858-1933)
La luna nova
Ernesto Tagliaferri, Nicola Valente –
Passione
Franceso Paolo Tosti
Marechiare
Finale
avec Alfred De Musset et O Marenariello de Salvatore Gambardella (1871-1913)
BIS :
« Una furtiva lagrima » extrait de l’Elisir d’Amore (Donizetti)
« Gare de Lyon » de Barbara