La Fille du Régiment peina à connaître le succès, qui ne lui advint qu’en 1850, dans sa version italienne, au Théâtre Italien de Paris. L’Opéra-comique remonta la version française dès l’année suivante (1851) et l’ouvrage fut joué plus de 1000 fois avant la Première Guerre mondiale. Depuis lors, les deux versions sont régulièrement jouées et l’ouvrage ne connait pas de réelles éclipses.
Contemporaine du retour des cendres de Napoléon, l’œuvre ne se distingue pas par l’originalité de son livret qui reprend les poncifs du théâtre de l’époque. On soulignera toutefois les qualités théâtrales de ce livret, enlevé et joyeux, qui permet à Donizetti de faire montre de son talent, alternant les élans patriotiques, les pudeurs amoureuses et la tendresse des sentiments familiaux. La partition est particulièrement allègre, les airs (dont celui de Tonio et ses 8, voire 9, contre-ut) très entrainants et l’ensemble est léger et très plaisant.
La production de l’Opéra royal de Versailles est d’un classicisme a priori tout à fait reposant. Des toiles peintes réutilisées et agrémentées de vidéos plutôt bienvenues (Etienne Guiol) et bien faites, des costumes chatoyants signés Christian Lacroix, des lumières incisives, tout ceci concourt à une lecture plutôt convaincante. Hélas, la mise en scène privilégie des ressorts comiques aussi lourdement appuyés qu’inutiles et qui confinent très souvent à une vulgarité totalement décalée avec la légèreté de l’œuvre. La direction d’acteurs et les mouvements d’ensemble sont d’une pauvreté consternante et d’un systématique dans la pose qui touche au ridicule. Tout ceci est fort dommage.
Dans la fosse, Gaetan Jarry dirige avec plus d’enthousiasme que de subtilité un orchestre de l’opéra royal qui manque, et de beaucoup, de précision, et dont les solos de cuivre et de bois sont fréquemment entachés par les difficultés certes inhérentes aux instruments d’époque, mais quand même…
Le plateau en revanche appelle moins de réserves, à commencer par la superbe prestation du Chœur de l'Armée Française dont le son rond, précis et très homogène donne toute sa dimension au personnage essentiel qu’est le Régiment. Les petits rôles sont bien tenus par Flore Royer en Duchesse de Crakentorp, Jérémie Delvert en caporal, et aussi la jolie voix de ténor d'Attila Varga-Tóth.
Eléonore Pancrazi est une Marquise de Berkenfield aux moyens importants et qui déborde d’énergie et d’abattage. Un peu trop d’ailleurs, la direction d’acteurs alourdissant ad nauseam ces caractéristiques du personnage et poussant la chanteuse à surajouter des effets comiques malvenus. Dommage car la voix est très belle et les qualités de chant comme la maîtrise technique sont indéniables.
Jean-François Lapointe est très convaincant en Sulpice. Le jeu est ciselé, fin, amusant et la voix est particulièrement ronde et naturelle.
Patrick Kabongo surmonte sans difficulté la tessiture particulièrement difficile de Tonio et se montre particulièrement à l’aise dans l’enchaînement de ses aigus. La voix, quoique d’une puissance limitée, est jolie, légère et la technique belcantiste est irréprochable. L’interprète est élégant et sait jouer des facettes de son personnage un peu niais mais attendrissant.
Gwendoline Blondeel est une Marie à la très belle voix, ronde, puissante, très bien projetée et qui conserve ses qualités sur toute la tessiture y compris dans le haut du registre. Au plan technique, la prestation est toutefois encore un peu verte et le style est souvent un peu trop éloigné du belcanto ; on ne peut s’empêcher de penser que ce rôle survient un peu tôt dans sa carrière.
Au finale, Vesperini nous impose une Marseillaise enchaînée sur le « Salut à la France » qui est, là aussi une idée saugrenue. Certes, on nous dit que ceci fut fait par Lily Pons au Met, mais faut-il rappeler que c’était en 1940 ?...
Le public s’est montré tout à fait enthousiasmé par cette production, sur laquelle je conserve de très fortes réserves.
Crédits photographiques : © Julien Benhamou
Programme et distribution :
LA FILLE DU REGIMENT, opéra-comique en deux actes de Gaetano Donizetti (1797-1848).
Livret en français de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François-Alfred Bayard
Créé le 11 février 1840 à Paris (Opéra-comique).
Marie : Gwendoline Blondeel
Tonio : Patrick Kabongo
Sulpice : Jean-François Lapointe
La Marquise de Berkenfield : Éléonore Pancrazi
Hortensius : Jean-Gabriel Saint-Martin
La Duchesse de Crakentorp : Flore Royer
Un paysan, Un notaire, Napoléon : Attila Varga-Tóth
Un caporal : Jérémie Delvert
Mise en scène : Jean-Romain Vesperini, assisté de Claire Manjarrès
Costumes : Christian Lacroix, assisté de Jean-Philippe Pons
Décors : Roland Fontaine
Vidéo : Étienne Guiol
Lumières : Christophe Chaupin
Maquillages et coiffures : Laurence Couture
Perruques : Maurine Baldassari et Cécile Larue
Accessoires : Julie Berce
Chœur de l’Armée française et Chœur de l’Opéra Royal
Orchestre de l’Opéra Royal
Direction musicale : Gaétan Jarry