La composition de Werther par Jules Massenet fut un long travail de création, près de 10 années entre les premières esquisses et la création. Commande de l’Opéra-comique, la partition fut néanmoins refusée en 1887 par le directeur du théâtre, le sujet étant jugé trop triste et sans intérêt. C’est à Vienne qu’eut ainsi lieu la création de cet opéra, dans une traduction en allemand du livret, création dont le succès considérable conduisit la direction de l’Opéra-comique à finalement accepter de monter l’ouvrage. Malheureusement le succès ne fut pas au rendez-vous de cette première française et il fallut attendre 1903 pour que le succès couronne la partition de Massenet, en France du moins.
Werther est un opéra exigeant, en raison notamment de la profondeur psychologique des quatre personnages principaux dont la complexité et les ambigüités doivent être rendues et aussi, bien sûr, en raison des difficultés du rôle-titre.
Dans cette co-production avec La Scala, la mise en scène de Christof Loy propose une transposition efficace dans les années 50 et une lecture très linéaire de l’œuvre, au plus près du livret la plupart du temps. Le plateau est coupé dans sa profondeur par le mur du jardin d’hiver de la maison de Charlotte, symbole du monde auquel Werther ne peut pas accéder. La direction d’acteurs est très précise et caractérise parfaitement et intelligemment les protagonistes, à l’exception peut-être du trait trop appuyé sur Sophie, on y reviendra. Le seul écart, mais gênant, est sur le final de l’opéra : l’interlude montre Charlotte arpentant son salon alors que la partition fait siffler la tempête lors de sa course pour retrouver Werther, lequel réapparait debout après son suicide et mourra en présence d’Albert et de Sophie également. Etrange propos, peu lisible.
A la tête des Siècles jouant sur instruments d’époque, Marc Leroy-Calatayud dirige en appuyant le romantisme de l’ouvrage. La direction est intense, puissante, emporte l’auditeur dans un torrent de cordes aux très belles couleurs chaudes et le chef accompagne ses solistes avec une attention de tous les instants, s’attachant à les soutenir tout au long de la représentation et leur offrant un écrin somptueux. Les nuances sont soignées et élégantes et seul le prélude a sonné un peu terne à mon goût.
Les enfants sont interprétés par six chanteurs de la Maîtrise des Hauts-de-Seine dont l’interprétation engagée n’appelle aucune réserve. En Bailli, Marc Scoffoni déploie des graves solides au profit de son rôle de père dépassé pendant que Yuri Kissin (Johann) et Rodolphe Briand (Schmidt) forment un duo de joyeux drilles efficaces vocalement mais dont le jeu comique est un peu trop appuyé.
Sandra Hamaoui est curieusement distribuée en Sophie, tant le timbre est éloigné de ce que l’on attend habituellement chez cette sœur un peu naïve de Charlotte. Le choix est toutefois cohérent avec une mise en scène qui lui accorde un soin bien plus important que d’habitude, quitte à en faire un peu trop dans les allusions (est-elle une rivale vénéneuse de Charlotte ? une manipulatrice ?).
On sait Jean-Sébastien Bou excellent comédien et il déploie son talent avec bonheur en Albert. Son incarnation est plus complexe que l’habituel mari jaloux, sa présence sur scène comme son chant créent des tensions palpables entre les personnages et conduisent le déroulement du drame. Comme d’habitude, la diction est irréprochable et le timbre d’une grande beauté.
Marina Viotti est époustouflante de facilité. La voix est ronde, conduite avec une forme de réserve sensuelle et capable d’éclats, notamment dans l’aigu, qui révèlent toute la passion contenue de son personnage. Le chant est d’une infinie sensibilité et culmine dans les deux grands airs qui lui échoient au III et qui sont de vraies splendeurs d’interprétation.
Benjamin Bernheim est très probablement le meilleur interprète de Werther depuis fort longtemps. La diction française est un plaisir en soi comme l’est la capacité de colorer les mots du texte chanté avec une élégance et un sens poétique qui semblent infinis. Son interprétation s’éloigne des Werther un peu lunaires pour privilégier la dimension morbide et inquiétante du personnage. Le chant est incroyablement beau, appuyé sur un timbre plein de chaleur et de lumière, et déploie un art de la nuance et de la demi-teinte admirable.
Saluée par de longues ovations d’un public conquis, cette soirée fera probablement référence.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet
Programme et distribution :
WERTHER, drame lyrique en quatre actes et 5 tableaux de Jules Massenet (1842-1912).
Livret en français de Edouard Blau, Paul Millet et Georges Hartmann, d’après Goethe
Créé le 16 janvier 1893 à Paris (Opéra-comique) et, en allemand, le 16 février 1892 à Vienne (Hofoper)
Werther : Benjamin Bernheim
Charlotte : Marina Viotti
Albert : Jean-Sébastien Bou
Sophie : Sandra Hamaoui
Le bailli : Marc Scoffoni
Johann : Yuri Kissin
Schmidt : Rodolphe Briand
Kätchen : Johanna Monty
Brühlmann : Guilhem Begnier
Comédiens : Agnès Aubé, Jean-Pierre Cormarie, Roland David, Martine Demaret, Rita Falcone, Danièle Gouhier-Rezzi, Laurent Letellier, Odile Morhain, Catherine Pepinster.
Mise en scène : Christof Loy reprise par Silvia Aurea De Stefano
Scénographie : Johannes Leiacker
Costumes : Robby Duiveman
Lumières : Roland Edrich
Les Siècles
Solistes enfants et Chœur d’enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Direction musicale : Marc Leroy-Calatayud