Farnace fait partie de la très abondante production de Vivaldi pour le Sant’Angelo dans la période 1725-1727 : pas moins de six opéras ! L’œuvre est pleine d’airs redoutables qui sollicitent beaucoup les solistes. Quoique repris en plusieurs théâtres européens jusqu’à la fin des années 1730, Farnace tomba ensuite dans un oubli total jusqu’à sa recréation par Jordi Savall en 2001.
Farnace est très souvent tenu pour l’opéra préféré de Vivaldi, celui-ci en ayant écrit pas moins de sept versions, la plupart d’entre elles confiant le rôle-titre de Farnace à un alto. La version dite de Pavie (1731) le confie à un ténor, et c’est cette version qui, avec des emprunts à celle de 1738 et de nombreuses coupures, sert ici de trame à la représentation.
L’action se déroule alors que les troupes de Farnace, roi du Pont, ont été vaincues par celles des Romains menées par Pompée. Elle est organisée autour de la haine que la reine Bérénice, alliée à Pompée, voue à son gendre Farnace, qui a tué son mari et enlevé sa fille Tamiri. Cette dernière renonce à tuer son fils, comme le lui a demandé son époux Farnace, et est empêchée de se suicider par Bérénice qui entend se venger sur son petit-fils. Pendant ce temps, au camp de Pompée, Gilade et Aquilio tombent tous deux amoureux de la sœur de Farnace, Selinda. Celle-ci va manœuvrer pour protéger son frère et son neveu en manipulant les deux guerriers pendant que Farnace poursuit son épouse qu’il accuse de l’avoir trahi en livrant son fils. Après des péripéties un peu tirées par les cheveux, Farnace est livré par Pompée à Bérénice, et ces deux derniers échappent à la double tentative de régicide orchestrée par Selinda. Finalement, Bérénice, touchée par la grâce, épargnera tout le monde. Happy end comme il se doit dans un opera seria.
Ayant fait le choix d’un mixte de version, Emiliano Gonzalez Toro distribue les rôles en conséquence : on reste près de la version de Pavie pour les rôles de Farnace (ténor), de Tamiri (contralto), de Gilade (soprano castrato) et d’Aquilio (ténor), il s’en éloigne pour Bérénice (mezzo-soprano auTCE), Selinda (également mezzo) et Pompeo (ténor) sans que les équilibres vocaux ou dramatiques s’en ressentent.
Musicalement, on a connu I Gemelli en meilleure forme. L’effectif important (trop ?) des cordes tend à étouffer l’orchestration et sonne un peu terne. L’absence de direction effective (Emiliano Gonzalez Toro ne dirige que l’ouverture et se concentre sur son rôle de Farnace) se fait sentir dans de nombreux décalages et des problèmes récurrents d’équilibre entre les chanteurs et l’orchestre. Seul le continuo, somptueux, tire brillamment son épingle du jeu.
Alvaro Zembrano semble comme égaré en Aquilio qu’il peine à incarner malgré une jolie voix bien timbrée et corsée dans le medium et les graves. Les décalages sont nombreux, notamment dans son air d’entrée et il semble indifférent au personnage. Key’mon W. Murrah (Gilade) appartient à cette génération de sopranistes pour lesquels l’essentiel est dans la performance de l’aigu. Certes l’aigu est bluffant, stratosphérique et tenu sur des notes longues, mais le chant est fort peu homogène, avec des passages très perceptibles et l’ensemble n’est pas toujours très beau. Surtout la voix, par ailleurs un peu mince, n’apporte aucune caractérisation au personnage. Il n’en demeure pas moins que le public lui a réservé un beau succès. Deniz Uzun a une voix puissante et un timbre intéressant avec des graves profonds. Mais elle semble égarée dans ce répertoire qui ne correspond pas à cette voix ni à sa technique. De fait la puissance est mal maitrisée et si les nuances sont nombreuses et souvent réussies, l’ornementation est assez pauvre. Bref, on a envie de l’entendre dans Verdi ou dans Wagner, plus que dans le répertoire baroque.
Juan Sancho est un beau Pompeo et se régale à l’évidence de son rôle, certes secondaire mais essentiel à l’intrigue. Parmi les plus chevronnés de la distribution, il n’hésite pas, tout en chantant, à donner les départs à l’orchestre. Le timbre est toujours brillant et agréable et au II, « Non trema senza stella » est exécuté avec panache et virtuosité. La Bérénice d’Adèle Charvet est très convaincante. Certes l’incarnation de cette virago qui s’adoucit de façon incompréhensible est particulièrement malaisée mais Adèle Charvet met ce qu’il faut de rage et de cruauté dans son personnage sanguinaire pour être tout à fait crédible. « Da quel ferro che ha svenato » est enlevé avec une énergie rare et lui donne des accents inquiétants. Titulaire du rôle-titre et autre ténor de la distribution, Emiliano Gonzalez Toro est également assez convaincant en Farnace même s’il est un peu à la peine dans les parties les plus virtuoses, notamment son air d’entrée exécuté à grande vitesse, et même si certains airs sont coupés (dont le « Gemo » privé inexplicablement de sa partie B et de son da capo).
C’est en définitive la Selinda de Séraphine Cortez qui m’a semblé l’élément le plus intéressant de cette distribution. Le timbre est chaud, rond et la technique est éprouvée, y compris dans la virtuosité. L’actrice est vraiment intéressante et ses minauderies de coquette pour séduire ses deux soupirants balourds sont amusantes.
La mise en espace de Mathilde Etienne vaut davantage par la direction d’acteurs, vraiment réussie, que par des accessoires et des mouvements beaucoup plus conventionnels.
Le public du Théâtre des Champs Elysées, quoiqu’un peu clairsemé, a fortement applaudi toute l’équipe de ce Farnace, enthousiasme que je n’ai guère partagé.
crédits photographiques : (c) Jean-Yves Grandin
Programme et distribution :
FARNACE, Dramma per musica en trois actes d’Antonio VIVALDI (1678-1741)
Livret en italien de Antonio Maria Luchini
Créé le 10 février 1727 à Venise (Teatro Sant’Angelo)
Farnace : Emiliano Gonzalez Toro
Gilade : Key’mon W. Murrah
Tamiri : Deniz Uzun
Berenice : Adèle Charvet
Pompeo : Juan Sancho
Selinda : Séraphine Cotrez
Aquilio : Alvaro Zambrano
Mise en espace / Mathilde Etienne
Ensemble I Gemelli
Direction musicale : Emiliano Gonzalez Toro